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Claude Weil sur Var Matin de ce 17 novembre, dit avec talent ce que tout le mode - ou presque - pense

Une fronde ? Une jacquerie, ce mouvement du 17 novembre ? Les mots ont un passé. Ils suggèrent qu'un tel phénomène n'est pas inédit dans notre histoire politique, riche en émeutes et soulèvements populaires contre le « château » (j'entends tout ce que le château symbolise dans l'imaginaire national : le pouvoir, les gens d'en haut, les privilégiés, les profiteurs...). Tout a été dit sur ses ressorts profonds : te sentiment d'abandon d'une France rurale et périurbaine qui se lève tôt, bosse dur et subit de plein fouet l'escalade des taxes ; le mépris ressenti par cette France « d'en-bas » qui ne croit plus à la parole publique et aux promesses des « politicards ».


Ce qui est inédit — outre le rôle des médias sociaux dans l'émergence d'un mouvement que les partis d'opposition, même les plus radicaux, auraient été bien en peine de créer, condamnés qu'ils sont à courir derrière pour essayer de le récupérer, c'est qu'il s'agit, à notre  connaissance, du premier grand mouvement social indexé sur la voiture. Comme les révoltes de l'Ancien Régime l'étaient sur le cours du blé.


Le déclencheur ? Les prix à la pompe. Le signe de ralliement ? Un gilet de sécurité. Le lieu de rassemblement : les parkings. La méthode d'action : occuper les ronds-points. L'objectif ? Bloquer la circulation. Et pou les jusqu'auboutistes : rouler sur Paris.


Une mobilisation pour, par et à propos de la voiture — la « bagnole », aurait dit Pompidou. Quand les prophètes de la modernité nous annoncent depuis un demi-siècle la fin de la civilisation de l'automobile... Cherchez l'erreur.


Cela dit une réalité de la France moderne, le vécu quotidien de millions de gens pour qui la transition écologique reste une abstraction.


On ne parle pas ici de la mythologie de la voiture. Non, mais de nécessité, de contraintes et de contradictions. Entre une politique qui prétend «décarboner» notre existence et l'étalement du monde urbain qui fait qu'il n'y a souvent pas d'alternative à la voiture pour aller au boulot, au cinéma, au supermarché, emmener les gosses à l'école.


Entre la (nécessaire) politique anti-diesel d'aujourd'hui et la (déraisonnable) politique pro-diesel d'hier.


Entre l'envie — ou l'obligation — de quitter les centres-ville (trop chers, trop pollués) pour un pavillon à la  campagne et l'injonction de laisser la voiture au garage pour « sauver la planète ». Entre la flambée des prix qui chasse les foyers modestes de plus en plus loin et l'explosion de leur budget transport. Entre la gentrification des hypercentres et la déshérence des banlieues.


La voiture n'est pas que la voiture. Et pas seulement un gouffre financier. Ce qui se joue à travers elle, c'est le rapport au travail, aux loisirs, aux autres. C'est la liberté d'aller et venir. De participer à la vie sociale. A l'heure où nous écrivons, on ne sait pas quelle sera l'ampleur du mouvement du 17novembre. Ni s'il aura des suites.


Mais son message est clair : aucune politique, si salutaire soit-elle (et la transition écologique est éminemment salutaire), ne réussira si elle ne prend pas en compte cette donnée de base : la vie des gens.