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EDF et le nucléaire « Il faut aligner la trajectoire définie par l’Etat et l’intérêt social d’EDF »

 

Après le bras de fer entre l'Etat et EDF autour de la fermeture de la centrale de Fessenheim, le PDG d'EDF défend une « vision de long terme » pour le nucléaire.

Comment réagissez-vous à la décision de Donald Trump de sortir de l'accord de Paris?

La décision de Donald Trump est un coup d'arrêt à un grand élan collectif mondial, elle traduit une vision à court terme et marque l'égocentrisme du pays le plus riche du monde, qui plus est bien doté en ressources naturelles. La première puissance économique mondiale s'isole alors que les pays européens sont engagés dans la réduction des émissions de CO2. Cela nous donnera, à nous européens, des opportunités pour innover et créer de l'emploi, et pénalisera les entreprises américaines. Beaucoup d'entre elles, qui ont condamné cette décision, l'ont bien compris.

En Europe, le débat sur le prix du carbone a peu avancé...

Tous les acteurs de bonne volonté en Europe sont déçus que les paroles ne soient pas suivies de décisions efficaces. L'Europe se contente de favoriser l'installation d'électricité d'origine renouvelable, ce qui est nécessaire mais pas suffisant. Le prix du carbone devrait être un levier d'efficacité climatique, certains pays comme la Suède ou le Royaume-Uni ont mis en place un prix plancher du carbone sans que cela pèse sur la compétitivité de leur industrie. En France, la contribution climat énergie est désormais une composante du prix des carburants. Cette première étape doit être suivie par un prix plancher de la tonne de CO2 émise par la production d'électricité.

Emmanuel Macron reprend l'objectif de ramener la part du nucléaire à 50 % de la production d'électricité à l'horizon 2025, comment l'interprétez-vous ?

J'ai noté dans les déclarations du candidat qu'il inscrira la politique énergétique de la France dans le temps long, ce qui est très important. J'ai dit à Nicolas Hulot, que j'ai rencontré tout récemment, qu'il est essentiel pour EDF de s'impliquer très activement dans la mise en oeuvre de cette transition énergétique, en l'abordant avec une vision de long terme et des arguments et des scénarios objectifs.

Vous ne croyez donc pas aux 50 % à l'horizon 2025 ?

Ces dernières années ont été marquées par un décalage par rapport à la pratique historique dans laquelle EDF participait à la définition de la trajectoire de la production électrique française et s'engageait pleinement dans cette trajectoire. Avec une trajectoire dont les Français bénéficient depuis des années. Il serait bien que puissions à nouveau trouver le chemin qui aligne la trajectoire énergétique, définie par l'Etat, et l'intérêt social d'EDF, dont le conseil d'administration et moi-même sommes garants. On a constaté récemment que si les deux ne sont pas alignés, cela génère de l'inefficacité, de l'incompréhension.

Vous souhaitez un Grenelle du nucléaire ?

Le choix de la méthode relève du gouvernement. EDF doit s'inscrire dans la perspective d'une baisse de la part du nucléaire, nous le savons bien. La tendance est évidente, les scénarios concrets doivent être étudiés avec rationalité et sans dogmatisme.

Visez-vous 2050 pour atteindre les 50 % de nucléaire ?

En 2050 une très grande partie de notre parc de réacteurs nucléaires aura cessé de produire. Et nous aurons, d'ici là, dû construire et mettre en service des nouveaux réacteurs, comme l'Etat nous a demandé de le préparer. Ce que nous faisons, bien entendu. Pour éviter d'avoir à construire des centrales au gaz en France, et à importer massivement du gaz.

La consommation plafonne. Si vous prolongez et que vous construisez, cela ne fera pas baisser la part à 50 %...

Travaillons aussi bien sûr les scénarios de consommation. Quel poids auront les objets connectés, les véhicules électriques ? Quelle croissance économique, démographique ? Quel sera l'effet des interconnexions électriques avec nos voisins, qui se multiplient ?

L'autre option pour l'Etat serait de nationaliser le parc nucléaire, pour avoir la main sur son évolution...

C'est un sujet qui relève du Parlement et de l'Etat actionnaire, et sur lequel nous n'avons pas été sollicités. Gardons en tête que pour que le parc nucléaire continue à tant apporter à notre pays, il doit rester compétitif.

Vous voulez reconstruire le parc mais l'EPR coûte trop cher...

Flamanville est un prototype dont le devis a dérivé. Il couvrira ses coûts variables mais il est possible qu'il ne dégage pas une rentabilité très forte. Il n'est évidemment pas question d'aborder la phase de renouvellement du parc sans un modèle économique robuste. Et dans le marché dérégulé, si on doit investir dans des infrastructures à coûts fixes importants, il faut une garantie de prix, comme nous l'avons négocié avec le gouvernement britannique pour Hinkley Point, et Bruxelles a donné son accord.

L'ouverture des marchés pour les particuliers fête ses dix ans le 1er juillet. Quel bilan en faites-vous ?

La concurrence chez les clients finaux a atteint la maturité, nos concurrents se multiplient et l'un d'entre eux est même devenu un grand acteur (Direct Energie, NDLR) très profitable, parce que la régulation a été organisée pour qu'ils puissent nous attaquer sur les prix. Cela nous stimule. En revanche, la concurrence sur le marché de gros n'est pas satisfaisante. Nos concurrents peuvent nous acheter de l'électricité à un prix subventionné, le prix de l'Arenh, qu'ils n'utilisent que quand ils y ont intérêt. Cette option gratuite, cette dissymétrie créée au début de la concurrence n'a plus de raison d'être.

Vous avez valorisé les activités Réacteurs et services d'Areva 2,5 milliards d'euros, n'est-ce pas trop optimiste ?

Nous les avons valorisées sur la base de huit fois l'Ebitda récurrent de 300 millions d'euros. Bernard Fontana, qui dirige l'entreprise, laisse entendre que ce chiffre pourrait être supérieur à l'avenir.

Les Chinois entreront-ils au capital de cette filiale ?

Nos partenaires japonais de Mitsubishi Heavy ont pris de l'avance pendant que les autorités chinoises désignaient leur chef de file, CGN, notre partenaire de plus de trente ans. Ces derniers jours les discussions avancent bien, avec les uns et les autres. Nous avons signé un contrat pour prendre le contrôle de New NP en novembre dernier. Parmi les conditions suspensives, la Commission de Bruxelles vient de donner son accord, et le travail sur les dossiers non barrés de l'usine du Creusot devra se terminer avant la fin de l'année. Et nous sommes plus confiants que jamais pour obtenir l'approbation par l'Autorité de sûreté nucléaire de la cuve et des éléments du circuit primaire de Flamanville 3.

Quand l'EPR de Taishan sera-t-il mis en service ?

Nos équipes sur place nous rapportent que la phase d'essais se déroule bien et nous que nous pouvons tabler sur le chargement du combustible et la mise en service dans trois ou quatre mois. Et donc avant le premier réacteur concurrent, pourtant lancé avant notre EPR.

Les syndicats d'EDF redoutent une réforme de leur statut. Ont-ils raison de s'inquiéter ?

Au moment où le gouvernement engage plusieurs réformes pour moderniser le droit du travail et les régimes de retraites, la question de la modernisation du statut en vigueur dans les industries électriques et gazières se pose également. Cela ne pourra s'étudier que dans le cadre du dialogue social, auquel je suis personnellement très attaché.