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Les non-dits de l'abstention

Source Les Echos DOMINIQUE SEUX / Directeur délégué de la rédaction Le 13/06

Emmanuel Macron a (presque) perdu le premier tour des législatives. Vous ne le saviez pas ? C'est que vous n'ouvrez pas les yeux et que vous n'écoutez ni le chœur des (vrais) perdants ni celui d'un certain nombre d'analystes. Car voilà le vrai gagnant du scrutin, à entendre une petite musique de fond depuis dimanche soir : l'abstention. Son « score » de 51,29 %, inédit sous la Ve République, est scruté et disséqué dans tous les sens. Pourquoi tant d'électeurs ont-ils voulu bouder les urnes ? Qu'ont-ils voulu bien pu vouloir dire ? S'ils s'étaient exprimés, quel bulletin auraient-ils glissé dans l'urne ? Cette lecture est doublement infondée. Elle l'est d'abord parce que faire parler des Français qui, justement, se sont abstenus de le faire alors que rien ne les empêchait d'exprimer une opinion est étrange. Cela devient (presque) comique quand les dirigeants du Front national ou de La France insoumise laissent entendre que ceux qui ne se sont pas déplacés les soutenaient en cachette ! Dans un livre devenu classique, le politologue Alain Lancelot a analysé l'infinie variété des ressorts de l'abstention : simple empêchement, défaut d'intégration, attitude spécifique à un contexte électoral. On y ajoutera, en souriant, la météo et, plus sérieusement, le silence de tous ceux qui veulent laisser une chance à Emmanuel Macron.

Bien malin, donc, est celui qui peut en tirer des enseignements définitifs. Mais il ne faut pas être dupe. La mise en avant du fort taux d'abstention a pour objectif de délégitimer aujourd'hui la victoire d'En marche pour pouvoir mieux contester demain les décisions qui seront prises par le nouveau président. Avec en priorité la réforme du droit du travail, dont ce dernier a fait sa priorité. Curieusement, personne ne penserait à contester la légitimité des syndicats au plan national... alors même que la participation aux dernières élections professionnelles s'est arrêtée au taux de 42,76 %, selon les éléments publiés ce printemps. La ficelle est assez grossière. Le gouvernement aura les moyens d'agir, il a un mandat. Pour autant, le niveau de l'abstention soulève bel et bien des interrogations. De nature institutionnelle : depuis la réforme de 2002, les législatives apparaissent comme des élections de seconde zone après la présidentielle, ce qui pose un problème de contrôle démocratique. De nature programmatique : c'est à LR, au PS, au FN et à La France insoumise, dont les partisans ont davantage encore fait l'école buissonnière, de se demander pourquoi les électeurs ont boudé leurs propositions. De nature politique, enfin : Emmanuel Macron devra prêter une attention particulière à ces Français qui le laissent faire sans le soutenir. S'il a un élan, il marche aussi sur des œufs.

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