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Mélenchon 2012 - 2017 : comment il a changé

Remy Dodet

Comme un sentiment de déjà vu. Dix jours après un débat réussi sur TF1 et à trois semaines du premier tour de l'élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est en hausse dans les sondages. Une embellie précisément similaire à celle qu'il connut il y a cinq ans à la même période. Et pourtant, le candidat n'est plus tout à fait le même. Il le confie lui-même dans le "Journal du dimanche" le 2 avril :

"J'ai tiré les leçons de la campagne de 2012. J'ai 65 ans. L'âge a son influence sur moi."

Alors il y a des constantes : une VIe république, plus d'écologie, une finance au pas et le "dégagisme", version mise à jour du "Qu'ils s'en aillent tous". Mais il y aussi des ruptures, programmatiques, personnelles ou dans la manière de mener campagne. Tour d'horizon. 

Un sprint mieux préparé

Son directeur de campagne Manuel Bompard l'a rappelé mercredi en marge du meeting du Havre : "En 2012, Jean-Luc était arrivé émoussé dans la dernière semaine. Cette fois, on ne va pas reproduire les mêmes erreurs." La principale, à en croire Eric Coquerel, le leader du Parti de gauche, est d'avoir disparu des radars les derniers jours avant le premier tour, au lendemain du grand discours de Marseille du 14 avril 2012.

Pourquoi Mélenchon menace de sécher le dernier débat sur France 2

Mélenchon a prévenu ce mardi : il ne participera pas au grand débat à 11 si France 2 le maintient au 20 avril, à trois jours du premier tour. Macron n'est pas chaud non plus et le CSA s'est emparé du sujet. En clair, Mélenchon veut garder la main sur ses derniers jours de campagne après son meeting à la Prairie des Filtres à Toulouse le 16 avril. Rien n'a été communiqué sur son agenda de fin de campagne. Mais l'idée sera de crever l'écran. "Si on ne fait pas l'actualité la dernière semaine, n'importe quel sujet peut s'imposer à nous et on risque d'en pâtir", prévient Coquerel.

Premier sur YouTube

Jean-Luc Mélenchon aime les internet. Et vice versa, d'après de nombreux indicateurs. Depuis qu'il s'est lancé en février 2016, le député européen, qui n'a pas à disposition les même structures partisanes que ses rivaux, s'est beaucoup appuyé sur la toile pour tenter de convaincre. "Quand Jean-Luc a déclenché sa candidature hors-parti, on s’est dit : on va s’inspirer de ce qu’a fait Bernie Sanders", racontait début janvier sur Europe 1 sa directrice de communication Sophia Chikirou, qui est allée observer l'an dernier la campagne du sénateur américain, rival malheureux de Hillary Clinton dans la course à l'investiture démocrate. 

Bien sûr, Mélenchon n'a pas déserté les médias traditionnels, et surtout pas cette "odieuse" Emission politique présentée par David Pujadas sur France 2, qu'il vient de démolir sur son blog. Mais il s'est donné la possibilité de "les contourner" : il a façonné à sa main son propre média via sa chaîne Youtube et ses différents émissions. Il y a "la revue de la semaine", une demie-heure de commentaires libres filmée "au smartphone" ; "pas vu à la télé", où l'on peut observer Mélenchon converser pendant une heure avec un invité de son choix ; ou encore "Esprit de campagne", où l'on a vu le candidat dérouler fin février son programme pendant cinq longues heures sur un plateau télé ressemblant à ceux des chaînes en continu, mais avec ses amis en guise de journalistes. Depuis la marche du 18 et le débat du 20 mars, son audience numérique a encore grimpé. Sur YouTube, c'est le candidat le plus suivi avec 250.000 abonnés. Sur Twitter (1 millions) et Facebook (800.000), seule Marine Le Pen fait mieux.   

Les "likes" Facebook annoncent-ils les résultats de la présidentielle ?

La posture mitterrandienne

Jean-Luc Mélenchon campait un homme en colère. Il est devenu le grand-père rassurant. C'est en tout cas le nouveau message et le personnage rénové que lui et ses équipes ont tenté de mettre sur pied. "C'est plus force tranquille que bruit et fureur. Les Français ont pu le voir lors du débat sur TF1", résume Eric Coquerel. Et encore dans son interview du 2 avril dans le "Journal du Dimanche", où le candidat confie :

"Je suis plus philosophe que jamais et moins impétueux. La conflictualité a montré ses limites."

Les deux affiches de campagne parlent d'elles-mêmes. Le rouge très communiste de 2012 a laissé place à un ciel nuageux évoquant un paysage maritime. A l'injonction "Prenez le pouvoir" , Mélenchon a cette fois préféré "la Force du peuple" comme slogan, mixant la référence à Mitterrand et son propre corpus. 

Un plan B pour quitter l'Europe

C'est son changement le plus radical. Au chapitre 7 du programme "l'humain d'abord", Jean-Luc Mélenchon et les communistes proposaient il y a cinq ans de "s'affranchir" du traité de Lisbonne afin de "construire une autre Europe". "Notre désobéissance fera tâche d'huile", s'imaginaient-ils. C'était l'époque où François Hollande promettait de "renégocier" avec Angela Merkel le traité approuvé quelques mois plus tôt par Nicolas Sarkozy : ce qu'il ne fera pas. Cinq ans plus tard, le refrain a vécu, les Britanniques ont voté pour le Brexit, et Mélenchon avance un plan très différent pour "en finir avec l'austérité". Ou plutôt deux plans.

Un plan A : "Une sortie concertée des traités européens par l’abandon des règles existantes pour tous les pays qui le souhaitent et la négociation d’autres règles." Les dites règles à bannir étant le TSCG, la barre des 3% de déficit, le Ceta ou encore la directive des travailleurs détachés...

Mais si les autres pays n'embrayent pas, hypothèse hautement probable au regard de la coloration politique des gouvernements européens, alors Mélenchon brandit le plan B. C'est-à-dire "une sortie des traités européens unilatérale par la France pour proposer d’autres coopérations." Dans ce cas-là, le député européen propose par exemple de "réquisitionner la Banque de France pour transformer l'euro en monnaie commune et non plus unique" et la mise en place d'un "contrôle des capitaux et des marchandises aux frontières nationales".

Les communistes au pas

ll n'y a qu'à comparer les images des deux marches parisiennes du 18 mars 2012 et du 18 mars 2017. Les drapeaux Front de gauche flottaient partout sur les premières, ils ont disparu cinq ans plus tard. "Les partis sont impliqués dans la campagne, mais leur rôle est moins important", remarque Coquerel. Autrement dit : Jean-Luc Mélenchon a envoyé bouler le cartel du Front de gauche, cette coalition qui rassemblait notamment son jeune Parti de gauche et le PCF. Lui qui rêve d'achever son ancien parti ne pouvait qu'enrager de voir les communistes s'allier localement au PS lors des scrutins locaux. Alors au moment d'aller annoncer sa candidature en février 2016, Mélenchon ne les a même pas prévenus.

D'autres vexations ont suivi : certains élus communistes auraient rechigné à envoyer leurs parrainages au Conseil constitutionnel, sans lesquels Mélenchon n'aurait pu concourir ; ce mardi, peu après l'ultime appel à l'union lancé par Benoît Hamon, Pierre Laurent a plaidé pour une nouvelle rencontre entre les deux. Avant que Mélenchon achève l'idée dans la soirée. En réalité, le PCF est coincé depuis que ses militants ont voté cet hiver en faveur d'un soutien à Mélenchon. Et il le sait fort bien.

Tarir le flux d'immigrés

"L'immigration n'est pas un problème", pouvait-on lire dans le programme de 2012. Cinq ans plus tard, Mélenchon considère toujours que les immigrés apportent davantage à la société qu'ils ne lui coûtent. Mais le monde a changé, et le ton de Mélenchon avec. L'été dernier par exemple, le député européen a tenu lors d'une session parlementaire à Bruxelles des propos que certains n'imaginaient pas sortir de sa bouche  : "L'Europe qui a été construite, c'est une Europe de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu'arrive un travailleur détaché, qui vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place." Dans la foulée, Olivier Besancenot du NPA et Julien Bayou l'accusent de parler la langue du FN.

Le 17 mars dernier, Mélenchon a reconnu sur BFMTV une maladresse, expliquant avoir voulu utiliser l'expression "voler son pain" avec des guillemets et dénonçant en creux un mauvais procès. "Je n'aurais jamais dû parler comme ça car le guillemet est une nuance, même orale, qui échappe au gauchiste moyen et au journaliste ordinaire." Sur le fond du sujet, la directive sur des travailleurs détachés fait partie de ces règles avec lesquelles Mélenchon rêve d'en finir. "C'est un truc qui rend les gens fous et racistes", selon Raquel Garrido, l'une des porte-paroles de la France insoumise.

"Jean-Luc n'est pas dans la ligne "qu'il viennent tous". Dans certains milieux gauchistes, ça plaît pas. Mais on s'en fout, on est pragmatique. 'No borders' est tout aussi dogmatique que '0 immigrés'."

Pour résumer, Mélenchon assure aujourd'hui qu'il n'est pas favorable au "déménagement permanent du monde". Et quand on lui parle d'immigration, l'élu pointe systématiquement le doigt sur les raisons - "guerre, dérèglement climatique..." - qui poussent les populations à quitter leurs pays d'origine. "Le premier devoir est de tarir le flux et nous devons avoir comme mot d'ordre : chacun doit pouvoir vivre dans son pays, et cela est valable en Corrèze comme au Zambèze", expliquait-il dans C à Vous début mars.