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L'islam des manuels scolaires : comment le musulman est transformé en terroriste potentiel

 

La société vit un moment de bascule, mais la forme scolaire est statique.

Par-delà les réformes successives, par-delà les rhétoriques, on enseigne aujourd’hui à quelque chose près de la même manière qu’au XIXe siècle ! Pourtant les pédagogies dites nouvelles et les mouvements d’éducation populaire commencent à dater ; les travaux en sciences sociales abondent ; les rapports d’expertise encombrent les tiroirs des ministères.

La rentrée scolaire et la nomination d’une nouvelle ministre de l’Éducation, - pour la première fois une femme à ce poste - Najat Vallaud-Belkacem, sont-ils une opportunité pour penser l’école autrement ? La nomination d’une nouvelle ministre, qui fut ministre des droits des femmes peut être une opportunité pour penser les discriminations scolaires ?

Le traitement de l’islam dans les programmes français en est un bon analyseur

Une panique morale alimentée par les manuels scolaires

Les systèmes de représentation remplissent des fonctions d’organisation des perceptions, des affects et des valeurs et assurent des fonctions de défense contre des menaces internes et externes à l’individu et au groupe, menaces réelles ou fantasmées.

Décrypter les discours collectifs d’une époque et leurs effets sur la subjectivité des individus s’impose. Nous le savons avec Castoriadis, l’imaginaire ne joue pas un rôle du fait des problèmes réels rencontrés par les hommes mais parce que ces problèmes ne se constituent comme tels qu’en fonction d’un imaginaire central de l’époque ou de la société considérée.

Aujourd’hui, celui de la peur et de la menace, réactivées de manière récurrente lors de chaque période historique de crise et de tensions économiques fortes, prendrait-il la forme de l’islamophobie en France comme en Europe ?

L’adolescence, l’âge de la construction psychique

Le pacte républicain tant commenté par les politiques, produit hégémonique de réduction de l’altérité plutôt que de coexistence pacifique des appartenances, est aujourd’hui confronté à la citoyenneté plurielle de la seconde modernité dans une société pluri-identitaire.

Pour comprendre les formes des débats contemporains sur le vivre ensemble dans un contexte radicalisé de "panique morale" - il s’agit de définir les contours de l’altérité au cœur de cette panique morale, cet Autre, celui que l’on exclut de la communauté pour avoir transgressé les normes, sauf à ce qu’il disparaisse comme Autre.

Il est donc pertinent d’observer à un âge où les adolescents se construisent psychiquement, mettent du sens à la relation aux autres, de repérer quelle est l’image du musulman et de l’islam que les manuels de l’enseignement secondaire proposent aux lycéens.

L’analyse n’est pas nouvelle mais le problème se pose toujours

Déjà le rapport Berque sur l’enseignement – rapport fort peu suivi d’effets- avait été sévère.

Il proposait, dès 1985, que l’occidental démythifie l’islam notamment grâce à l’école : non seulement les programmes d’aujourd’hui ne démythifient rien mais ils construisent une image de l’islam chez les adolescents que ceux-ci soient musulmans (peu ou prou) ou pas, contemporaine mettant à mal la construction des subjectivités juvéniles..

Dans un rapport diligenté en 2008 par la Halde, Pascal Tisserant et Anne-Lorraine Wagner avaient relevé dans les manuels la présence d’un double stéréotype : l’islam serait une religion étrangère à la France et le port du voile justifierait toutes les formes de rejet.

La figure scolaire du musulman est un étranger

Nous avons dépouillé les manuels-professeurs d’histoire destinés à l’enseignement générale en seconde, première et terminale des éditions Hatier, Hachette et Nathan, trois des plus grands éditeurs français en lycée utilisés en 2013.

Les "ouvrages professeurs" montrent les réponses attendues des élèves aux exercices et questions et pose le cadre problématisé des chapitres pour les enseignants. Le résultat détaillé de ce travail est publié dans notre ouvrage.

La construction scolaire contemporaine de l’islam par les manuels français contemporains ne fait que renforcer ces stéréotypes dans un pays où il s’est agi d’abord d’enseigner la Nation

En travaillant sur l’occurrence "islam" dans ces manuels, nous avons repéré que la figure scolaire du musulman est un étranger, et le plus souvent un islamiste…

Des réponses attendues très parlantes

L’ouvrage publie des graphiques constitués de nuages de mots les plus fréquemment utilisés dans l’ensemble des réponses de tous les manuels décryptés dans les réponses aux questions faisant apparaître l’occurrence "islam" et on y repère les corrélats le plus fréquents associés à l’occurrence islam : "terrorisme", "attentats", "guerre", "11 septembre", "Al-Qaïda", "islamisme","laïcité", "école", "loi", "foulards", "voilées".

Quelques réponses prises dans leur intégralité sont illustratives.

En seconde, l’occurrence apparaît très peu uniquement sous l’angle de l’opposition chrétiens et musulmans et de "La curiosité pour les mondes lointains au XVe et XVIe siècle sous l’angle du regard des occidentaux" sur les "nouvelles civilisations" et, dans le paragraphe dédié à l’empire ottoman : pour parler de "L’islamisation de la cité Constantinople".

Une des rares réponses attendues est :

"Selon l’auteur, les femmes sont contraintes de porter le voile dans l’espace public parce que ce sont des débauchées. Il faut donc les cacher à la vue des autres hommes pour leur interdire toute infidélité. Voilà pourquoi dans leur maison, hormis leur époux et leurs propres enfants, seuls des eunuques peuvent les fréquenter.

Ainsi, pour Cantacuzène, le voile ne résulte pas d’une interprétation de certains commandements de l’Islam, ni d’une obligation coutumière assez courante dans les sociétés patriarcales et polygames."

Viol, morts, armes... Les corrélats implicites de l’islam

En première, dans un manuel, un seul ouvrage est cité en bibliographie "Olivier Roy, Généalogie de l’islamisme, Hachette, 2001", et les occurrences (par exemple, dans un des manuels, 17 occurrences dont 15 islamisme, et 2 islam dont mourir pour l’islam) sont consacrées aux tours du World Trade Center, aux différents attentats islamistes, Madrid ou à Londres (où les islamistes "choisissent de combattre les armes à la main pour imposer leur conception de Dieu et du monde selon laquelle la mort pour Allah - le martyre - est une bénédiction") et à l’empire ottoman où "les civils arméniens chrétiens sont victimes de déportations massives.

D’après le rapport de Martin Niepage, lors des marches de la mort, les hommes sont systématiquement massacrés et les femmes, violées, sont contraintes d’accepter l’islam. Les vieillards et les enfants meurent de faim ou de maladies".

Par-delà la lecture détaillée des réponses argumentées, notons que les corrélats "affectifs" implicites de l‘islam sont donc polygamie, patriarcat, viol, voile, contraintes, terrorisme, armes, mort, attentats.

Déjà, l’historien Lucien Febvre, dans un article de 1946, disait de la France "qu’elle se nommait diversité" et nous savons avec René Girard, que "là où la différence fait défaut, c’est la violence qui menace, notre École peut-elle permettre de penser et faire vivre cette différence ? Ou bien est-elle actrice d’une panique morale ?"

Car via le musulman, le descendant d’immigré est transformé en terroriste potentiel, ce qui se traduit par des rejets au quotidien.