JustPaste.it
atlantico.fr

 

Sondage exclusif d'avant débat : et voilà la hiérarchie des sujets sur lesquels les Français pensent que les politiques peuvent (encore) réellement agir

 

Atlantico : Quels sont les principaux éléments que l'on peut tirer de ce sondage ? 

Jérôme Fourquet : Le premier enseignement de cette enquête concerne la hiérarchie des priorités des Français. On voit que les questions économiques et sociales autour du pouvoir d’achat et de l’emploi sont aujourd’hui en haut du tableau, suivies derrière par les questions qui relèvent davantage du régalien. On rappellera que ce baromètre a été réalisé avant les évènements survenus ce week-end à Orly et qui pourraient peut-être contribuer à remettre un peu plus l’accent sur la lutte contre le terrorisme.

Si l’on reste sur cet aspect lié à l’ordre des priorités, on remarque que la question des flux migratoires et du contrôle aux frontières fait quasiment jeu égal avec la sécurité au quotidien. On voit donc que ce n’est pas uniquement la prime aux éléments ou sujets entrant le plus en ligne de compte avec la vie quotidienne qui concentrent le plus d’intérêt ; ce n’est donc pas uniquement leur environnement de proximité et leurs seules conditions de vie individuelles qui préoccupent les Français donc.

On s’aperçoit également que les questions de logement et de scolarité des enfants, mais aussi le lien entre pollution et problématiques de santé sont très loin derrière en termes de préoccupations. L’impact environnemental sur la santé est l’un des sujets sur lesquels Benoît Hamon a beaucoup investi ; or dans la hiérarchie des préoccupations des Français, cette question n’est pas des plus prioritaires.

Avec cette enquête, il s’agit de mettre en lumière les préoccupations des Français, ainsi que la crédibilité des candidats sur chacune de ces priorités. Cela peut donc dire des choses sur les dynamiques électorales.

La hiérarchie des intentions de vote se retrouve aussi dans ce baromètre. Sur la question de la pollution, Benoît Hamon apparaît comme le candidat le plus crédible. Mais sinon, sur tous les autres sujets, ce sont soit Emmanuel Macron, soit Marine Le Pen qui sont en tête ; et comme par hasard, ce sont les deux favoris des sondages actuellement. On s’aperçoit également que sur les sujets les plus préoccupants, c’est Emmanuel Macron qui est en tête. Il y a une prime au positionnement : Emmanuel Macron est le mieux placé sur les questions économiques et sociales ; or ce sont celles qui aujourd’hui dominent. Il est ainsi à 24% sur le chômage et la sécurité de l’emploi, et 23% sur la question du pouvoir, soit dix points de plus que tous les autres candidats. Ceci confère donc un avantage certain. De la même façon, Marine Le Pen se positionne clairement en pole position sur les sujets régaliens qui arrivent juste derrière les questions économiques et sociales.

Ce qui s’est passé ce week-end à Orly – nous verrons les suites de cette affaire – est un évènement potentiellement très important car il pourrait inverser la hiérarchie des préoccupations et faire repasser le régalien devant les questions économiques et sociales ; le climat général n’est pas stabilisé. D’aventure, si cela venait à se produire, cela conférerait une prime très substantielle à Marine Le Pen qui est aujourd’hui la plus crédible sur ce thème.

Si Emmanuel Macron est en tête sur les questions économiques et sociales, nous avons parlé d’un écart de seulement 10 points par rapport à ses concurrents. Le score qui est le sien est quand même, sur ses points forts, relativement limité. A l’inverse, Marine Le Pen, sur ses points forts à elle, écrase très clairement le match : sur la question des flux migratoires, elle est à 42%, soit 30 points de plus que les autres candidats ; elle a 17 points d’avance sur le terrorisme (31%), 20 points sur l’extrémisme religieux, et 10 points sur la sécurité. A propos de ce bloc – car tout est lié dans l’esprit des Français – il faut donc garder en tête qu’elle a entre 10 et 30 points d’avance par rapport aux autres candidats. Ainsi, si le climat venait à basculer, et que la psychose terroriste venait complètement phagocyter les priorités des Français et accaparer leur attention – ce qui n’est pas à exclure – cela serait un terreau propice à une progression de Marine Le Pen dans les intentions de vote.

A l’inverse, on voit qu’Emmanuel Macron n’arrive à surnager que sur les thématiques qui sont en bas de tableau : l’environnement, la scolarité des enfants (15%), mais cela n’est pas aujourd’hui dans le spectre des préoccupations des Français.

Là où les choses se compliquent davantage, c’est pour François Fillon, qui est sur des scores extrêmement faibles : son score le plus élevé concerne la sécurité (16%) ; sa crédibilité économique paraît, elle, fortement érodée : 10% sur le pouvoir d’achat derrière Marine Le Pen, 12% sur le chômage  (derrière Marine Le Pen également). Sur la question des retraites, dont le passage à 65 ans est l’une de ses mesures phares, c’est 10% des citations contre 12% pour la candidate du FN , 13% pour le candidat PS et 22% pour le candidat d’En Marche !. La crédibilité de François Fillon est très fortement entamée, aussi bien sur les sujets économiques que sur les questions régaliennes et sécuritaires. On voit donc mal le point d’appui pour un éventuel rebond de François Fillon dans la situation actuelle.

A lire également sur notre site : "La droite pourrait-elle survivre à une défaite de François Fillon en cas de victoire de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron ?"

A propos de la question des domaines sur lesquels les politiques ont encore la main et sur lesquels ils peuvent encore faire bouger les choses, on constate que contrairement à ce qu’on pourrait penser, sur la plupart de ces sujets, il y a un nombre de résultats positifs qui est très important. Les Français pensent encore que les politiques sont en capacité de faire bouger les choses, y compris sur des sujets qui touchent à leur vie quotidienne, comme la scolarité des enfants (37% des Français pensent que l’on peut faire beaucoup quand on est un politique sur ce sujet), les retraites (35%), le pouvoir d’achat (33%). Cela est également le cas sur des sujets plus régaliens : 36% pour le contrôle aux frontières, 32% pour la sécurité et celle de ses proches, et 31% sur la question du terrorisme. Les Français ne sont pas désenchantés par le politique. Si aujourd’hui on mesure dans les autres enquêtes un intérêt relativement modéré pour la campagne, cela est sans doute le signe que le climat judiciaire, qui a considérablement pollué cette campagne, explique pour beaucoup ce manque d’engouement. C’est tout l’enjeu civique et citoyen du débat de ce lundi soir qui va peut-être permettre de sonner les trois coups du début véritable de la campagne électorale, avec une confrontation entre différents projets, différentes personnalités, avec des échanges d’arguments sur les principaux enjeux qui préoccupent les électeurs. 

Cliquez sur chacune des images pour agrandir. 

atlantico.fr

 

Sondage exclusif d'avant débat : et voilà la hiérarchie des sujets sur lesquels les Français pensent que les politiques peuvent (encore) réellement agir

 

Dans ce nouveau baromètre Ifop pour Atlantico, 20% des Français placent le chômage et la sécurité de leur emploi et de ceux de leurs proches à la première position en tant que sujet qui les préoccupe le plus. Ils ne sont plus que 12% à placer le terrorisme à la première place de leurs préoccupations. Qu'est-ce qui explique ce changement (NB : 67% de Français considéraient, en juillet 2016, que la lutte contre le terrorisme allait "beaucoup" compter dans la présidentielle 2017, dans un précédent baromètre Ifop pour Atlantico) ? A quel(s) candidat(s) cela pourrait-il le plus profiter ? 

Vincent Tournier : Quand on regarde l’évolution des courbes, on voit effectivement que la préoccupation pour la lutte contre le terrorisme s’est effondrée depuis l’automne. A quoi faut-il attribuer ce renversement de tendance ? Les responsabilités sont sans doute partagées : il faut tenir compte du silence des médias, de la prudence des politiques, mais aussi de l’attitude des Français eux-mêmes. D’une certaine façon, tout le monde a envie de passer à autre chose. Il faut bien mesurer l’ampleur de ce déchainement de violence auquel nous avons assisté en 2015 et 2016. Depuis les guerres de religion, jamais un prêtre n’a été égorgé dans son Eglise. Et même sous la Monarchie absolue, jamais des auteurs de presse n’ont été massacrés. Faut-il aussi rappeler que, même au pire moment de l’affaire Dreyfus, aucun juif n’a jamais été assassiné en France ? Les attaques que nous venons de vivre sont d’autant plus traumatisantes qu’elles ont été commises par ceux qui étaient supposés être les victimes du racisme. Autrement dit, le fascisme que l’on attendait à l’extrême-droite est venu du côté de ceux qui étaient censés en être les premières victimes.

Tout cela fait beaucoup, à la fois par la nouveauté et par les contradictions. Un besoin de catharsis se fait sentir : on sent une envie d’exorciser, de rejeter, d’oublier ces événements. C’est un peu ce qu’a fait François Hollande lorsque, voulant répondre à Donald Trump qui disait que Paris n’est plus Paris, il s’est permis de dire : "ici il n'y a pas de circulation d'armes, il n'y a pas de personnes qui prennent des armes pour tirer dans la foule". Cette formule est hallucinante ; elle aurait dû provoquer une réaction ferme de la part des associations de victimes. Pourtant, la déclaration du président traduit bien ce déni qui imprègne une partie des élites et, certainement aussi, des électeurs. L’histoire retiendra que, après les pires attentats de notre histoire, la campagne présidentielle s’est polarisée sur le statut des assistants parlementaires. La campagne électorale n’a pas lieu parce que le réel n’a pas pu avoir lieu.

Marine Le Pen est la candidate qui totalise le plus d'items sur lesquels les Français la jugent la plus crédible en tant que candidate à la présidentielle (le terrorisme, les flux migratoires et le contrôle des frontières, la sécurité et celle de ses proches, l'extrémisme religieux et l'extrémisme politique). Elle est suivie par Emmanuel Macron (le pouvoir d'achat et la capacité à boucler ses fins de mois, le chômage et la sécurité de son emploi et de ceux de ses proches, le montant de la retraite présente et à venir, et la scolarité des enfants). Ces résultats viennent-ils entériner le rejet des Français des candidats issus des partis traditionnels, et plus largement de ces derniers ? Quelles transformations du paysage politique français provoqueraient l'éviction dès le premier tour des candidats LR et PS ? 

Vincent Tournier : Il est clair que les partis de gouvernement n’ont pas la cote : si on additionne les intentions de vote pour Benoît Hamon et pour François Fillon, on n’arrive tout juste à 30%. En mars 2012, le total cumulé des intentions pour Hollande et Sarkozy atteignaient 55% (score qu’ils ont d’ailleurs effectivement obtenu au premier tour).

On assiste donc à un véritable effondrement. Faut-il s’en étonner ? Cela fait des années que l’on commente à toutes les sauces la fameuse crise de la représentation politique, le déclin de la confiance dans la classe politique, le divorce entre les électeurs et les élus. Il fallait donc s’attendre à ce que ce divorce finisse par se traduire sur le plan électoral. Il faut dire aussi que le contexte aggrave les choses. Après la crise financière de 2008, nous avons eu la crise de l’euro, le Printemps arabe qui s’est transformé en Hiver islamiste, la crise migratoire, et finalement le califat en Syrie et les attentats islamiques. Bref, les scénarios les plus noirs se sont réalisés, ceux qui étaient supposés être élaborés par des illuminés infréquentables et dangereux. Or, face à cela, la classe politique semble démunie et impuissante, incapable de donner du sens à ce qui se passe et encore moins de proposer des solutions. On a connu des crises politiques pour moins que ça.

Il n’est donc pas très étonnant que Marine Le Pen engrange de très bons scores sur ces sujets. Elle bénéficie clairement d’une forte crédibilité sur les thèmes liés à la sécurité et à l’immigration. C’est assez logique puisque le contexte a clairement banalisé les réponses sécuritaires, lesquelles apparaissent désormais moins scandaleuses qu’autrefois. D’ailleurs, on a bien vu, après les attentats, que l’opinion publique devenait très favorable à des mesures radicales. C’est pour cette raison que François Hollande s’était lancé dans son projet très symbolique de déchéance de la nationalité, sans réaliser qu’il allait créer une énorme tension dans son propre camp au point de devoir y renoncer.

Cela étant, cette situation ne sert pas forcément Marine Le Pen puisque, comme on l’a dit, les enjeux sécuritaires ont tendance à passer au second plan. Donc, la candidate du FN ne va pas être en mesure d’accroître significativement son impact électoral, sauf éventuellement si un nouvel attentat vient à se produire. 

Malgré le précédent résultat, pour l'ensemble des items testés dans ce baromètre, les Français considèrent qu'aucun des candidats à la présidentielle n'est crédible, à l'exception de Marine Le Pen pour ce qui est des flux migratoires et du contrôle des frontières (42%). Les candidats dits "hors système" ne souffriraient-ils pas, eux aussi, de la défiance de l'opinion publique vis-à-vis des politiques ?

Vincent Tournier : Vu le contexte, on peut effectivement penser que les candidats antisystèmes n’obtiennent pas le triomphe qu’ils pourraient espérer. Il y a plusieurs raisons à cela, à commencer par le fait que Marine Le Pen est toujours frappé d’un interdit majeur. De plus, le caractère anti-système d’Emmanuel Macron reste relatif. On peut même considérer que celui-ci doit surtout son succès au fait qu’il incarne une certaine continuité, une certaine stabilité, avec un programme savamment dosé, doublé d’une posture très habile sur l’homme providentiel, à la fois à gauche et à droite, dans la continuité et le changement. Sa stratégie n’est pas sans rappeler la façon qu’avait eue Nicolas Sarkozy en 2007 de se présenter en homme nouveau (avec le thème de la "rupture"), alors que lui-même avait été ministre et était issu du même mouvement que le président sortant.

Toujours est-il que, au total, les partis de gouvernement font de la résistance. Ni Hamon, ni Fillon ne sont tombés dans les abîmes des intentions de vote, en dépit de toutes les casseroles qu’ils traînent, que ce soit un programme mal ficelé et l’impopularité du président sortant pour Benoît Hamon, ou les affaires d’emplois fictifs et les tensions avec les centristes pour François Fillon.

Cela laisse entendre que, au total, les Français ne sont pas prêts à dézinguer le système. Certes, ils ne veulent pas reconduire les partis qui ont gouverné, mais ils veulent quand même éviter de partir dans l’inconnu. On peut expliquer cette situation paradoxale par le fait que les alternatives au statu quo ne sont finalement pas si évidentes. Quelle est la solution de rechange pour l’Europe ? Quelle est l’alternative à la mondialisation ? Comment lutter contre l’islamisme tout en restant dans un cadre démocratique ? C’est tout le paradoxe de la situation actuelle : on voit bien que les problèmes s’accumulent, mais on voit mal quelles peuvent être les solutions. 

 

 

Enregistrer