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Programme économique de Macron : un peu de rupture, beaucoup de continuité


Par Aurélie Delmas et Kim Hullot-Guiot

L’ancien ministre de l’Economie a livré, dans un entretien aux Echos mis en ligne mercredi soir, des propositions pour relancer l’économie, réduire la dépense publique, le déficit et le chômage. Jeudi matin, le candidat d'En marche a présenté devant la presse le cadrage budgétaire de son package, s’inscrivant dans la continuité plus que dans la rupture avec le quinquennat de François Hollande.
Comment le projet de Macron s’inscrit dans la continuité…

• L’impôt sur les sociétés, mission réduction

Emmanuel Macron souhaite voir l’impôt sur les sociétés (IS) passer de 33,3% à 25%. La France est l’un des pays de l’Union européenne où les bénéfices réalisés par les entreprises sont en apparence les plus taxés – même si l’assiette de cet impôt n’est pas large, c’est-à-dire que toutes les entreprises ne sont pas concernées de la même manière – derrière Malte (35%) et devant l’Italie (31,4%), l’Allemagne (29,72%) et le Luxembourg (29,22%) selon des données du cabinet KPMG. Sur ce sujet, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de l’action de Hollande. Parmi ses 60 engagements pris en 2012 figurait celui de «mettre en place trois taux d’imposition différents sur les sociétés : 35% pour les grandes, 30% pour les petites et moyennes, 15% pour les très petites». Un quinquennat plus tard, le projet de loi de finances pour 2017 abaissait en partie cet impôt pour les petites et moyennes entreprises (PME) à 28%, alors qu’elles payaient 33,3% au-delà de 38 120 euros de résultats imposables annuels (en dessous, le taux est de 15%).

Les grandes entreprises seront elles aussi concernées à partir de 2020, bien qu’elles ne payent en réalité déjà pas toutes ces 33,3% en raison des multiples exceptions, crédits d’impôts de type CICE, et dérogations qui existent. Résultat, l’IS ne rapporte que l’équivalent de 2,7% du PIB. Au-delà de s’inscrire dans la continuité du quinquennat, la proposition d’Emmanuel Macron poursuit surtout la tendance européenne, qui depuis près de vingt ans est à la réduction de cette imposition. Selon des chiffres de Bruxelles, en 1999, les sociétés étaient en moyenne taxées à 33% contre un peu moins de 25% aujourd’hui.

• Sur la baisse du déficit, toujours le même objectif

Concernant le déficit, actuellement situé à 3,5% du PIB (contre 4% en 2014 d’après les chiffres officiels), Emmanuel Macron, contrairement par exemple à son rival socialiste Benoît Hamon, souhaite faire en sorte de respecter la règle européenne des 3% maximum. C’est aussi l’objectif affiché pour 2017 par le gouvernement alors que lundi, la Commission européenne a noté qu’à mesures inchangées, le déficit de la France devrait s’établir à 2,9% en 2017, puis remonter à 3,1% en 2018. A titre de comparaison, François Fillon vise, lui, un déficit nul à l’horizon 2022, tandis qu’un Jean-Luc Mélenchon table pour sa part sur 2,5% en fin de quinquennat.

Pour ce qui est des hypothèses de croissance du PIB, Macron annonce 1,4% en 2017 et 1,8% en 2022, quand la plupart des autres candidats n’hésitent pas à «vendre» une croissance dépassant les 2% dès l’an prochain. En 2016, celle-ci a plafonné à 1,1%.

• La dépense publique, de plus en plus contrôlée

«Le poids de la dépense publique devra être progressivement ramené vers la moyenne de la zone euro. Je prévois donc une baisse de 3 points de la part des dépenses dans la richesse nationale. Cela représente 60 milliards d’économies par rapport au tendanciel», a déclaré Emmanuel Macron. C’est exactement ce qu’a fait le gouvernement de François Hollande, se marre Bercy auprès de Libération, puisqu’il a économisé autour de 12 milliards d’euros par an… soit 60 milliards sur le quinquennat.

A l’été 2015, devant le Medef, Emmanuel Macron s’était dit favorable à l’idée de ramener la dépense publique à 50% du PIB à l’horizon 2022 (tout en estimant que cela serait difficile). En tant que ministre de l’Economie de François Hollande, il a contribué à baisser la part de la dépense publique, de 57,5% en 2014 (selon l’Insee), à 55,3% en 2016 (soit 0,2% de plus que les prévisions du projet de loi de finances pour cette année-là), si l’on s’en tient aux chiffres du gouvernement. A titre de comparaison, sur les 28 pays de l’UE, la moyenne de la dépense publique était de 47,4% du PIB en 2015, et 48,2% de 2014, indique Eurostat.

Pour contrôler cette dépense publique, Emmanuel Macron envisage, on l’a dit, un plan d’économies de 60 milliards d’euros à l’horizon 2022 (25 au niveau de l’Etat, 15 sur l’Assurance maladie, 10 sur l’indemnisation chômage et 10 au niveau des collectivités locales), qu’il n’a pas détaillé. En voulant réduire de trois points, à l’horizon 2020, le poids de la dépense publique dans le PIB, Macron s’inscrit donc dans la continuité. Mais c’est sur la façon dont il compte réaliser les économies nécessaires à atteindre cet objectif qu’il va rompre avec le quinquennat socialiste…
… Tout en rompant avec le quinquennat socialiste

• Le nombre de fonctionnaires, en baisse

S’il ne va pas jusqu’à réclamer la suppression de 500 000 fonctionnaires, comme François Fillon, il estime néanmoins que 120 000 postes de fonctionnaires peuvent être supprimés au cours du quinquennat, dont 70 000 dans la fonction publique territoriale et 50 000 dans l’administration de l’Etat. «Ce n’est pas un objectif, mais un référentiel, ce sera aux ministres de faire des choix», a précisé (esquivé ?) l’ancien locataire de Bercy, ajoutant qu’aucun poste ne disparaîtrait dans la fonction publique hospitalière. Par ailleurs, et toujours afin de faire des économies, le candidat envisage que les collectivités territoriales puissent fixer le salaire de leurs agents et «recourir plus largement à des recrutements de droit privé», autrement dit à des agents publics qui ne sont pas fonctionnaires. Autre piste avancée : la «modernisation» du statut des fonctionnaires, qui pourront bénéficier de «plus de souplesse» dans leur carrière, de mobilités et de rémunérations individualisées.

On le voit, Macron prend ici sans complexe le contre-pied de François Hollande, qui a maintenu la masse salariale de l’Etat (près de 40% du budget général) pendant les quatre premières années de son mandat et l’a même légèrement augmentée sur la fin. Le gouvernement de Hollande a aussi décidé en mars 2016 d’augmenter de 1,2% en deux fois le point d’indice des fonctionnaires, gelé depuis 2010.

• Les rythmes scolaires, à la carte

Si sur le fond, il n’attaque pas cette réforme, portée par l’ancien ministre de l’Education nationale Vincent Peillon et assouplie par son successeur Benoît Hamon, Emmanuel Macron estime qu’il faut donner des objectifs de réduction des dépenses aux collectivités locales et leur laisser des marges de manœuvre en ce sens. «Je veux rompre avec la méthode de la baisse des dotations consistant à couper les vivres pour provoquer des économies. Cette méthode de régulation budgétaire est trop centralisatrice. Je veux nouer avec les collectivités un pacte sur cinq ans, dans lequel je contractualiserai une baisse de 10 milliards d’euros de leurs dépenses. Cette baisse sera à leur main», a-t-il dit aux Echos.

Macron entend donc permettre aux maires qui le souhaitent de revenir sur cette réforme, qui coûte en moyenne, selon l’Association des maires de France, 231 euros brut par enfant. Une somme que les communes n’ont pas totalement à leur charge, la CAF apportant un coup de pouce de 250 millions d’euros par an et l’Etat participant à hauteur de 50 euros par élèves (90 euros en zones rurales et urbaines sensibles), même si cette dernière aide n’avait au départ pas vocation à être pérenne. Et comme 71% des mairies ont choisi la gratuité des activités périscolaires pour les familles, cela peut parfois peser sur leur budget.

• 80% des Français exonérés de taxe d’habitation

Un signal fort pour le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires : Emmanuel Macron propose d’exonérer avant 2020 quelque 80% des Français qui paient la taxe d’habitation. Le seuil serait ainsi fixé autour de 22 000 euros par an et par part fiscale. Sur RMC, l’ancien locataire de Bercy a qualifié vendredi d'«injuste» ce poids annuel pour les ménages car il pèserait davantage sur les habitants des communes pauvres. Sa suppression pour les plus modestes serait à ses yeux une «mesure majeure pour l’égalité entre les Français et les territoires». Afin de ne pas pénaliser les collectivités locales qui récoltent cet impôt, l’ancien ministre propose que l’Etat mette la main à la poche et verse directement aux communes le manque à gagner. Coût estimé de la mesure : 10 milliards d’euros sur le quinquennat.

• ISF : une réforme pour rompre avec un symbole de gauche

L’ISF, ou impôt de solidarité sur la fortune, a une forte dimension symbolique : il a été créé par François Mitterrand sous le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy, a été abrogé lorsque Jacques Chirac a pris la tête du gouvernement à la faveur du changement de majorité à l’Assemblée en 1986, puis a été rétabli par Michel Rocard après la réélection de Mitterrand en 1988. C’est dire s’il est lié à l’histoire socialiste récente. Pour autant, s’il paraît juste dans son principe (il s’agit de faire contribuer les plus riches à la solidarité nationale), il apparaît comme un impôt relativement injuste dans son application : les contribuables très aisés jouent souvent sur les multiples exceptions et exonérations pour ne pas le payer ou en réduire le montant. Emmanuel Macron, qui n’a jamais caché ne pas apprécier cet impôt et qui a lui-même, pour l’anecdote, eu des petits problèmes d’évaluation de son patrimoine, veut non pas le supprimer (comme Fillon) mais le réformer.

Comment ? En «privilégiant le risque face à la rente», comme il l’a déclaré sur France Inter au début du mois, et donc en faisant sortir du calcul de l’ISF les placements (actions, obligations) qui financent les entreprises. Ce n’est plus que le patrimoine immobilier qui sera pris en compte. Tout le reste (biens meublés, livret A, droits de propriété intellectuelle, assurances-vie…) en sera exclu. Sur le taux d’imposition, l’abattement de 30% pour la résidence principale, et le seuil d’entrée dans l’impôt (1,3 million d’euros de patrimoine), rien ne change, mais la modification des biens pris en compte fera de fait sortir des contribuables du cercle relativement restreint de ceux qui payent l’ISF, au nombre d’environ 300 000 ménages aujourd’hui.

• Assurance chômage : c’est parti pour le chamboule-tout

C’est sans doute le domaine dans lequel Emmanuel Macron envisage le changement le plus radical. Régler le chômage de masse est une «priorité» affichée : objectif 7% en 2022 et 10 milliards d’économies sur l’assurance-chômage. Mais pas d’annonces fracassantes sur ce point que l’ancien de Bercy avait déjà abordé. La durée et le montant des indemnisations ne seraient par exemple pas amenés à bouger.

En revanche, l’Unedic, gestionnaire de l’assurance-chômage fortement endetté actuellement aux mains des associations salariales et patronales, basculerait sous gouvernance publique. La volonté de se passer des syndicats n’est pas nouvelle chez Macron, elle lui a même valu la désapprobation publique de François Hollande, lors des vœux du chef de l’Etat aux partenaires sociaux.

Autre changement, l’assurance-chômage serait financée par l’impôt (par une hausse de la CSG) et plus par des cotisations sociales payées par les salariés. Et deviendrait universelle, «de la même manière que l’Assurance maladie», précise-t-il. De nouveaux publics pourront ainsi prétendre à une indemnisation chômage et notamment «ceux qui démissionnent de leur entreprise» après cinq ans d’activité, mais aussi les indépendants, artisans, commerçants, agriculteurs, professions libérales et autres entrepreneurs qui n’en bénéficient pas aujourd’hui.

En contrepartie, toutes les personnes au chômage se verront soumises à plusieurs contraintes : effectuer un bilan de compétence, et, surtout, obligation d’accepter un emploi au bout de la deuxième proposition. «Le service public vous donnera accès à une nouvelle formation, et le demandeur d’emploi, une fois formé, devra accepter les offres qui lui sont proposées», a expliqué Macron aux Echos. Si un demandeur d’emploi refuse deux fois une offre, il sera radié. Ça vous rappelle quelque chose ? C’est normal : en 2008, Nicolas Sarkozy avait envisagé que les demandeurs d’emploi qui refuseraient plus de deux offres soient sanctionnés, puis, en 2012, il avait proposé de les contraindre à accepter la première offre qui leur serait faite à l’issue de leur formation. Deux idées qui ne lui ont pas réussi.
Aurélie Delmas , Kim Hullot-Guiot