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Et si les coûts de production devenaient nuls ? | Pierre Tarissi.

En ces temps de débats sur la notion de « revenu universel », tentons de prendre le problème sous un autre angle. Que se passerait-il dans une société ou les coûts de production deviendraient nuls ? Et dans ce cas, que deviendrait le « revenu universel » ?

Évoquons très schématiquement les évolutions en cours et leurs perspectives possibles … qui seront sans doute un des très grands enjeux du XXIe siècle.
Tout d’abord, définir une « production à coût nul »

Cela signifie qu’un produit ou un service est fourni immédiatement à toute personne qui en fait la demande. Il n’y a aucune intervention humaine supplémentaire, nulle part, depuis les matières premières utilisées, le processus de production et l’entretien jusqu’au recyclage final intégral des déchets émis pendant la production, la vie du bien et sa destruction.

Cela n’existe pas actuellement. Même les biens apparemment les plus dématérialisés et d’accès gratuit ont un coût (c’est-à-dire un contenu de travail humain. Par exemple, la diffusion de musique ou de vidéos par Internet, même largement gratuites pour le client final, a un coût. Mais il est vrai que son coût marginal (coût d’une unité de plus pour un nouveau client) est extrêmement faible.
Où en sommes-nous actuellement ?

Aujourd’hui, tout objet ou service produit « contient » un volume d’information de plus en plus élevé par rapport à sa masse exprimé en kilogrammes par exemple. Ce volume d’information comprend la définition du produit lui-même, celle de son procédé de production, le savoir-faire des concepteurs du produit et du procédé de production, mais aussi des informations administratives pures (client, livraison, prix, mode d’emploi …).

Pour s’en rendre compte, on peut comparer un smartphone actuel avec un téléphone standard des années 1950, ou encore une automobile actuelle avec un modèle des mêmes années. Ou enfin un billet de train actuel avec ce qu’il était il y a 50 ans.
De l’artisanat à l’industrie, de plus en plus d’information

En revanche, chaque produit ou service contient de moins en moins de « travail » humain physique, c’est-à-dire au contact direct de la matière. Ce travail était omniprésent autrefois, par exemple dans le travail du sabotier. Il n’existe plus sous cette forme que dans de très rares cas (par exemple, la coupe de cheveux).

Le passage de l’artisanat à l’industrie, depuis 200 ans, que ce soit dans l’industrie elle-même, l’agriculture, ou les services, a très largement réduit le travail manuel par unité produite. Il l’a remplacé concrètement par des mécanismes mais aussi par des quantités d’informations qui n’existaient pas auparavant.

D’abord, le volume des publications scientifiques et technologiques, les cours universitaires des sciences de l’ingénieur et autres ont remplacé le savoir-faire de l’artisan, transmis par le maître compagnon de la corporation. Ces informations sont produites par les chercheurs et les équipes de recherche et développement.

Ensuite, d’énormes masses d’informations ont permis de définir les produits eux-mêmes (définition, matériaux, pièces constitutives). C’est le travail du bureau d’études produit dans l’industrie. Cette masse d’informations permet de rendre les sous-ensembles des produits interchangeables (réparation). Mais pour obtenir cette interchangeabilité, encore faut-il développer en parallèle les techniques de mesure (la métrologie) et les normes de fabrication, qui constituent d’autres masses d’information.

D’autres informations permettent enfin de décrire le processus de production de chaque produit (activité du bureau des méthodes). Ce processus utilise lui-même des machines, à leur tour définies et fabriquées par d’autres bureaux d’études, des méthodes et usines …
De moins en moins de travail humain par unité produite

Nous venons de constater la diminution du travail physique de l’Homme. En outre, ce travail s’exprime de plus en plus au travers des périphériques (clavier, souris, écran …) d’un ordinateur et de moins en moins au contact direct de la matière. D’autre part la multiplication de la production de produits et services a été massive, de même que celle du « temps machine » (ordinateur ou machine-outil) qu’ils consomment.

En fait, l’ensemble du temps consommé (homme + machine) diminue en permanence par unité de produit fabriqué, mais augmente globalement de façon continue depuis 250 ans environ (les débuts de l’ère industrielle). Surtout, le volume d’information qui l’accompagne augmente de façon pour le moment vertigineuse.
Globalement de plus en plus d’énergie et de matières premières

De même, pour un produit ou un service donné, la quantité d’énergie et de matières premières consommées pour le concevoir, le fabriquer, l’utiliser et enfin le détruire et le recycler, diminue sans cesse. Mais la consommation globale d’énergie et de matières premières augmente sans cesse.

Dans les prochaines décennies, l’enjeu « écologique », enfin, le « vrai », consiste à savoir produire autant d’énergie qu’on le souhaitera, mais sans consommer d’hydrocarbones fossiles (charbon, pétrole, gaz), en produisant infiniment moins de déchets (à faire tendre vers zéro par le recyclage systématique) et en remplaçant par d’autres les matières premières contingentées.
L’avenir est potentiellement resplendissant

Si on projette des courbes, on arrive à une consommation d’énergie sans cesse croissante, à une production de déchets (pollution) totalement contrôlée, ainsi que la consommation de matières premières. Il s’agit évidemment de réaliser le contraire des prévisions du « rapport Meadows » des années 1960, qui prévoit l’épuisement des ressources naturelles et l’accumulation infinie des déchets.

Du côté du travail humain, les travaux proprement d’exécution tendent à disparaître totalement, et la fabrication (production d’énergie, extraction des matières premières, construction des usines, des machines, des services …) à s’automatiser de plus en plus.
Les évolutions actuelles tendent vers un système de production totalement automatisé

Il est permis de penser qu’à partir d’un certain degré d’automatisation, le volume total de travail humain nécessaire se mette à dégringoler, hormis les travaux de recherche scientifique et de conception pure (en clair, laboratoire de recherche et bureaux d’études) et les démarches d’innovation et décisions d’industrialisation des produits. Ces dernières activités ne concernent actuellement que quelques pourcents de la population.

On ne peut envisager leur disparition qu’avec l’avènement d’une hypothétique « conscience des robots ». Aujourd’hui, seuls les « transhumanistes » prévoient son émergence lors de la « singularité », et même avant 2050. Mais il ne s’agit pour l’heure que d’une croyance jusqu’à preuve du contraire.

Dans ces conditions, une partie importante des produits et services deviendrait « à coût nul », une fois amortis les investissements de départ dans les machines auto-reproductrices qui initialiseront les processus automatiques, eux-mêmes auto-réparables et auto-innovants (dans une mesure qui reste à préciser). On ne peut pas prévoir de délai de mise en œuvre, mais on peut penser qu’elle sera largement entamée à la fin du XXIe siècle, en prolongeant les tendances actuelles. Il ne s’agit plus là d’un quelconque « transhumanisme », mais juste de la projection et de l’application généralisée de techniques actuellement connues et pratiquées.

Or, rien ne ressemble plus à un système de production « à coût nul », c’est-à-dire qui ne nécessite aucun travail humain qu’un système de « revenu universel ». Au lieu de donner à des gens de l’argent prélevé sur les richesses produites par d’autres (donc leur travail) pour leur assurer un niveau de vie minimal (le niveau de vie étant aujourd’hui directement lié à la consommation d’énergie), le système de production sans travail humain assure à tous la mise à disposition de richesses (biens et services) de façon totalement automatique.
Mais travail humain, monnaie et échanges subsisteront toujours…

Tout cela ne supprime ni la monnaie, ni les échanges marchands. En effet, il y aura toujours des gens pour préférer des biens contenant du travail humain, par exemple pour les services, certains produits ou encore l’art. Et il y aura toujours certaines denrées « rares » ou non réalisables par l’outil de production, par exemple les terrains.

Chacun aura le choix : bénéficier gratuitement des produits fabriqués sur simple demande par le système de production automatisé ou échanger biens et services contenant du travail humain avec d’autres. Par exemple :

Commander et recevoir immédiatement chez soi un hamburger à un « McDo » automatisé ou aller dîner dans un restaurant gastronomique avec service à table ;
Se faire couper les cheveux par un humain à domicile ou au salon de coiffure plutôt que de demander une coupe gratuite à son robot humanoïde domestique tout aussi gratuit ;
Commander un meuble sur mesure gratuit à un atelier automatisé ou se faire faire le même meuble par un artisan ébéniste qui travaille à la varlope et au ciseau ;
Sans compter tous les inimaginables et innombrables tâches et métiers qui surgiront d’ici-là …

Pour éviter une société de castes, assurer une très forte culture à 100% de la population

Une société évoluant dans ce sens pose toutefois un lourd et lancinant problème.

Soit il y coexiste deux castes, à savoir ceux qui ne peuvent consommer que les produits gratuits fabriqués automatiquement, et ceux qui savent produire des produits ou services de meilleure qualité ou plus différenciés que les produits gratuits, qui leur permettent de gagner de l’argent et d’échanger. La France commence à y ressembler avec sa masse de chômeurs non qualifiés, exclus de fait de la possibilité de produire des richesses ;

Soit tout le monde est capable de produire des biens de haute qualité contenant une certaine quantité de son propre travail, et peut donc « gagner de l’argent » quand il le souhaite. Mais cela nécessite une évolution positive massive du système éducatif (aidé si possible par les neurosciences et les biotechnologies) pour assurer à tous la formation minimale nécessaire pour y parvenir.

Et comme pour arriver à tout cela, il faut encore beaucoup de travail humain, on s’y met tout de suite !

Source: Pierre Tarissi