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Pourquoi Fillon s'accroche comme un fou

 

À tous ceux qui lui suggèrent de lâcher prise, François Fillon a une réponse ferme qui n'admet pas de réplique : « Ce n'est pas moi qu'on attaque, c'est la droite. Mettez n'importe qui d'autre à ma place, et ce sera la même chose : les forces qui conspirent contre nous lui trouveront une affaire. Et nous aurons alors tout perdu. »

Alain Juppé ? On ironisera sur le fait qu'on remplace un candidat soupçonné d'employer fictivement sa femme par le maire de Bordeaux, condamné en 2004 dans l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris... Et puis, on lui cherchera des noises sur sa double retraite. François Baroin ? « Il est avocat d'affaires, on l'embêtera sur ses clients », souligne-t-on dans l'entourage de Fillon. Nicolas Sarkozy ? C'est pire : la justice s'intéresse déjà à son cas dans de nombreuses affaires. Autre solution : désigner un candidat qui n'a pas été un compétiteur de la primaire. « Mais il aurait la même légitimité qu'un passant dans la rue », remarque un proche de Bruno Le Maire...
Une petite chance de s'en sortir

Donc, François Fillon tient bon. Et les dégâts dans l'opinion s'accumulent... Son épouse a déclaré de façon constante qu'elle ne travaillait pas au point de s'ennuyer... Personne, parmi le premier cercle des fillonistes, ne se doutait que François Fillon salariait son épouse. Pire ! Elle-même, lors de son audition devant les policiers, a déclaré qu'elle n'avait pas le souvenir d'avoir signé un contrat de travail alors que sa signature – ou son imitation – figure bien au bas des documents... Y a-t-il eu un faussaire ? Et évidemment, les soupçons pèsent sur son mari... Penelope Fillon passerait ainsi du statut de présumée complice à celui de victime.

En droit, l'ancien Premier ministre a une petite chance de s'en sortir. Et c'est la raison pour laquelle il s'accroche. En effet, les députés sont libres d'employer qui bon leur semble et ils fixent eux-mêmes, sans contrôle, la nature des tâches qu'ils confient à leurs attachés parlementaires. « Je pourrais très bien rencontrer un conseiller trois fois par an pour entendre son avis, et le rémunérer 1 000 euros par mois comme attaché parlementaire sans avoir besoin de me justifier davantage, explique le député Thierry Solère. C'est la liberté du député assise sur la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire. Tel est l'état du droit et de la jurisprudence. »

Toutefois, une seule limite a été posée : le collaborateur parlementaire d'un député n'a pas le droit de participer à sa campagne électorale.

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Or, Penelope a reconnu un seul rôle dans la vie politique de son mari : l'aider un peu lors de ses campagnes électorales... Ça se complique.

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Détourner le regard

Depuis le début de cette histoire, le candidat Fillon ne cesse de dénoncer une machination. Le ou les snipers embusqués qui ont nourri les scoops du Canard enchaîné ont évidemment le dessein de peser sur la présidentielle. Viennent-ils de la gauche ? De l'extrême droite ? De l'extrême gauche ? Ou encore des adversaires de François Fillon au sein de sa propre famille politique ? Peu importe en fait puisque tous en profitent. Marine Le Pen peut reprendre du poil de la bête sur l'air du « tous pourris » ; Emmanuel Macron peut espérer effectuer une razzia auprès des juppéistes et des centristes pour se propulser au second tour, etc.

Soit l'on considère que les informateurs de l'hebdomadaire sont d'abominables délateurs, soit l'on considère qu'ils sont des lanceurs d'alerte. Dans le premier cas, il aurait fallu que les accusations soient grossièrement fausses... Or, François Fillon a reconnu que son épouse était son attachée parlementaire, à la grande surprise de ses amis. La contestation repose sur l'effectivité du travail. Et l'on ne peut pas dire, au regard des déclarations de sa propre épouse, que ce travail était évident...

Fallait-il se taire ? Fallait-il, pour ne pas perturber la bonne marche de cette présidentielle, laisser François Fillon tranquille ? Ne pas salir le débat par le déballage des mœurs politiques parlementaires ? Faut-il détourner le regard par crainte que les populistes s'emparent de cette pénible affaire pour faire leur beurre ?
Notre affaire à tous

Trop tard, le mal est fait. François Fillon était jusqu'ici porteur d'un discours sur la valeur du travail, le goût de l'effort, l'exemplarité. Il était parvenu à rassurer sur sa présidentialité. Ses références au général de Gaulle, à Georges Pompidou parlaient à la France profonde, ahurie par le quinquennat cahotique de François Hollande, exaspérée par l'effondrement de l'autorité et la mauvaise graisse de la bureaucratie.

Quelle que soit dorénavant l'issue de cette histoire, le népotisme indiscutable qui a cours à l'Assemblée nationale et au Sénat est devenu, en 2017, insupportable pour l'opinion. Même s'il est légal. Quand François Fillon s'accroche, il semble dire que ces pratiques d'un autre âge sont légitimes. A-t-il conscience que c'est son propre discours républicain qu'il jette aux orties ? Ce porte-à-faux est mortel et empoisonne déjà son projet politique même s'il parvient à être élu président de la République.

L'affaire Fillon n'est effectivement plus l'affaire de François Fillon. Elle est notre affaire à tous. Elle devra conduire à de profondes remises en cause des usages politiques. Sinon, les populistes finiront pas l'emporter.

Source: lepoint.fr Emmanuel Berretta