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Non, le travail n’est pas en train de disparaître  Denis Pennel

 

En 1995, l'essayiste américain Jeremy Rifkin annonçait dans son best-seller la « fin du travail ». Plus récemment, plusieurs universitaires et hommes politiques, dont Benoît Hamon, vainqueur de la primaire de gauche, ont repris l'antienne de la « raréfaction du travail », due à l'automatisation et la robotisation de notre économie.

Dans leur célèbre étude, Carl Frey et Michael Osborne ont estimé que 47% des emplois américains risquaient de disparaître d'ici à 2020. Leur méthodologie est depuis contestée. L'OCDE a calculé de façon plus rigoureuse qu'en moyenne seulement 9% des emplois présentent un risque élevé d'automatisation. Une analyse confirmée par le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) dans un rapport publié le 10 janvier : « moins de 10% des emplois cumulent des vulnérabilités qui pourraient en menacer l'existence dans un contexte d'automatisation ». En France, plus de 3 millions d'emploi seraient menacés d'ici à 2025.


Automatisation ne signifie pas substitution

Alors non, le travail ne va pas se raréfier et encore moins disparaître dans les années à venir. Si la machine ne faisait que remplacer l'humain, il n'y aurait plus aujourd'hui que très peu de travail humain dans la production, qui serait déjà assurée par des robots et automates. Le risque de chômage technologique massif peut être écarté pour de multiples raisons.

D'abord, l'automatisation ne signifie pas automatiquement substitution. L'automatisation n'élimine pas tant des emplois qu'elle se substitue à l'humain sur certaines tâches, redessinant les processus de production. Robots et machines modifient nombre de tâches au sein d'un emploi, sans pour autant le rendre obsolète.

Notons aussi que la substitution des emplois par les machines a été compensée par la croissance de la production et l'invention de nouveaux biens et services. L'immense majorité de ce que nous produisons a besoin de machines, et ce sont ces machines qui sont elles-mêmes à la source de création de nouveaux emplois : chaque emploi créé par le secteur de la haute technologie entraîne la création d'environ cinq emplois complémentaires.

Par ailleurs, il n'existe aucun déterminisme historique selon lequel la mécanisation et l'automatisation s'imposeraient irréversiblement. Il est possible de faire voler un avion sans pilote depuis 1945. Or il y a environ 150.000 pilotes d'avion en activité aujourd'hui, et Boeing prévoit qu'au niveau mondial, ce sont un demi-million (498.000) de pilotes supplémentaires qui devraient être embauchés d'ici à 2032 !

"Nous avons tendance à numériser le présent mais nous sommes bien incapables d'imaginer le monde du travail d'après-demain."

Enfin, s'il est facile d'extrapoler les emplois actuels voués à être automatisés, comment comptabiliser les métiers de demain dont l'existence même nous échappe ? Nous avons tendance à « numériser le présent » mais nous sommes bien incapables d'imaginer le monde du travail d'après-demain. Qui aurait prédit, à l'heure du passage du transport à cheval à celui de l'automobile, l'apparition des métiers de chauffeur, carrossier, pompiste, ingénieur aérodynamicien, technicien plasturgiste, électronicien automobile, etc.

Sans remonter à une époque aussi lointaine, qui aurait parié il y a 10 ans un euro sur l'émergence des métiers tels que webmaster, curateur de données, manager de communautés ou animateur médias sociaux. Et demain, combien de fermier urbain, avocat en droit des robots, coach en media social, réputationiste (conseiller en e-réputation), data diététicien, numéropathe (thérapeute en désintoxication digitale), foulenceur (spécialiste en crowdfunding) ?


Moins de temps passé à travailler

L'histoire de notre développement économique est celle, multiséculaire, de l'automatisation. Entre 1970 et 2000, la tertiarisation de l'économie avait emporté la moitié des emplois sans que la société n'implosât. Des emplois ont disparu, mais de nombreux autres ont émergé. Le nombre d'emplois ou le niveau global d'activité ne sont pas figés.

Si le déterminisme technologique n'existe pas, notre société anxiogène a néanmoins trouvé avec l'automatisation du travail un nouveau cheval d'angoisse. La génération des calèches avait peur de la fumée des moteurs à explosion, aujourd'hui nombreux sont ceux qui ont peur de leurs nouveaux collègues de travail robotisés... Car « cette fois-ci, c'est différent ! », clament les pessimistes. Avec cette nouvelle révolution industrielle, les métiers automatisables ne sont plus uniquement les métiers manuels : des emplois qualifiés à fort contenu intellectuel sont aussi menacés par les machines.

Oui, sauf que... ce qu'il faut regarder, c'est l'impact de l'automatisation sur les gains de productivité. Sur les deux derniers siècles, les gains de productivité ont été énormes, mais ils se sont plus traduits par une réduction de temps de travail que par une diminution des emplois : la part du travail dans nos vies s'est réduite comme peau de chagrin alors que dans le même temps la taille de la population active n'a fait que croître ! Le temps de travail salarial occupait 40% de la vie des hommes il y a un siècle. Aujourd'hui, il n'en représente plus que 10%... L'automatisation supprime davantage du temps de travail que des emplois !

Oui mais alors, si on pousse cette logique à son bout, le temps de travail va tendre vers zéro ? Hélas non, car cette tendance à des gains de productivité toujours plus élevés est de moins en moins vraie. Si l'automatisation va crescendo, l'évolution de la productivité du travail est restée très faible ces dernières années. Selon l'OCDE, le ratio PIB par heure travaillée n'a progressé en moyenne annuelle que de seulement 1% aux Etats-Unis sur les dix dernières années (2004-2014), contre 2,7% sur la période 1997-2004. La tendance est similaire en Allemagne (0,8% contre 1,5%), en France (0,7% contre 2%), au Royaume-Uni (0,4% contre 2,4%) et au Japon (0,8% contre 1,9%).

Une des réponses au déclin de la productivité provient du développement de l'emploi dans les services à faible valeur ajoutée (du moins d'un point de vue comptable..) dans le secteur de la distribution, de la restauration, des services à la personne ou des transports, couplé à la contraction de l'industrie. Une kyrielle de secteurs économiques confrontés à des pénuries de main d'oeuvre, où l'emploi fait défaut. Vous avez dit raréfaction du travail ?

Denis Pennel est directeur général de la World Employment Confederation. Source LesEchos

 

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