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Le ministre de l’intérieur a voulu marquer les esprits. Lorsqu’il s’est exprimé, mercredi 2 décembre, sur les trois fermetures de mosquées intervenues depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, Bernard Cazeneuve a insisté : « De telles mesures de fermetures de mosquées pour motif de radicalisation n’avaient jamais été prises auparavant, par aucun gouvernement. » Pour donner de la force à son propos, il pouvait s’appuyer sur un exemple encore frais : le matin même, la mosquée de Lagny-sur-Marne, en Seine-et-Marne, était perquisitionnée. « Ont été découverts lors de perquisitions chez les dirigeants de la mosquée : un revolver 9 mm chez un individu, qui a été aussitôt placé en garde à vue ; une école coranique non déclarée ; un disque dur dissimulé ; divers documents sur le djihad et une assurance-vie souscrite en 2012… », listait le ministre.

Un bilan à faire frémir. S’il n’avait de cesse d’être contesté depuis. Ainsi, contrairement à ce qu’a annoncé M. Cazeneuve, l’ensemble du butin n’a pas été retrouvé « chez les dirigeants de la mosquée ». Le revolver 9 mm, un pistolet à grenaille, a par exemple été saisi au domicile d’un « fidèle qui n’a rien à voir avec l’Association des musulmans de Lagny-sur-Marne », martèle son président, Mohamed Ramdane.

« Je suis un simple musulman, confirme Thomas, le détenteur en question, dont le prénom a été modifié. J’ai trouvé ce vieux pistolet tout rouillé dans les bois. J’ai vu que c’était sans danger. » Il reconnaît toutefois : « C’est une arme qui nécessitait un permis que je n’ai pas. Je suis convoqué au tribunal dans quelques mois. »

« Pas de disque de musique à la mosquée »

Les « documents sur le djihad » qu’évoque Bernard Cazeneuve dans son discours semblent également ne pas avoir été trouvés dans la mosquée ou chez ses dirigeants. Contactée par Le Monde, la préfecture de Seine-et-Marne refuse de se faire plus précise sur leur origine. Dans un communiqué publié dimanche 6 décembre, elle évoque toutefois des « disques de chants religieux à la gloire des martyrs du djihad liés à l’organisation terroriste Jabhat Al Nosra », branche syrienne d’Al-Qaida. M. Ramdane jure qu’« il n’y a pas de disque de musique à la mosquée ».

Quant à l’existence d’une école coranique illégale dans la mosquée, brandie par la préfecture dimanche, il dément catégoriquement : « Il y a du mobilier qui sert pour des cours d’arabe et d’enseignement du Coran. On apprend en général aux petits deux ou trois chapitres pour comprendre la prière. Ça n’a aucun rapport avec ce qu’on appelle les écoles coraniques. » De fait, ces activités d’enseignement extrascolaires sont bien prévues par les statuts de l’association que Le Monde a pu consulter.

La liste des zones d’interrogation paraît sans fin. S’agissant de l’assurance-vie, M. Ramdane fait valoir qu’il s’agit une fois de plus d’un élément étranger aux dirigeants de la mosquée. Et d’ajouter : « Je me suis renseigné auprès de la personne concernée, c’est une assurance de rapatriement du corps dans le pays d’origine, souscrite par ses parents, des immigrés, et qui n’a pas été renouvelée. »

Dans son communiqué de dimanche, la préfecture a ajouté avoir trouvé « des munitions de calibre 7,62, munitions pour arme de guerre de type kalachnikov » au cours d’une perquisition. A la lecture de l’ordre de perquisition du domicile d’O.C., le trésorier de l’Association des musulmans de Lagny, il est pourtant précisé que ces munitions ont été découvertes de façon « fortuite » devant son domicile, un immeuble d’habitation collective. La fouille de son appartement n’a, assure-t-il, pas été concluante.

L’ombre d’un homme

Au fur et à mesure que se précise le résultat des perquisitions, il apparaît que la fermeture administrative de la mosquée de Lagny-sur-Marne a surtout été motivée par l’ombre d’un homme, Mohamed Hammoumi, actif au sein de la précédente salle de prières de la ville et présenté dans l’arrêté préfectoral comme ayant prêché « une idéologie hostile aux valeurs occidentales et françaises, prônant l’anéantissement des ennemis de l’islam et faisant l’apologie du djihad et de la mort en martyr ». Plusieurs de ses adeptes « ont rejoint les rangs de Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique], en Syrie ».

Un portrait qui ne met pas d’accord les trois membres du bureau de l’Association des musulmans de Lagny. Tous ont connu Mohamed Hammoumi. Le secrétaire de l’association, M. N., a été « au collège et au lycée avec lui ». Le trésorier assure « qu’il n’a jamais incité au djihad », tandis que le président se limite à dire qu’il « ne tenait pas de prêches de haine en public ». Tous jurent en tout cas que l’association qu’ils ont créée en mai 2015 n’a plus rien à voir avec M. Hammoumi, qui a quitté la France pour l’Egypte en décembre 2014.

La municipalité de Lagny semble le confirmer. Dans le cadre d’une convention signée en 2015 avec l’association, elle a œuvré à l’implantation de la nouvelle mosquée, en juillet, sur l’actuel terrain. « On a réussi à créer un lien avec la communauté et on constate une vraie amélioration depuis plusieurs mois, observe Pierre Tebaldini, directeur de cabinet du maire (UDI), Jean-Paul Michel. Nous n’avons plus de problème relationnel. »

Une version qui contredit l’arrêté de fermeture qui considère que « la mosquée est gérée par l’association Retour aux sources » créée en 2010 par M. Hammoumi, et qu’elle « sert de cadre pour endoctriner et recruter des combattants volontaires » en Syrie. L’arrêté assure aussi que l’Association des musulmans de Lagny-sur-Marne a été créée en 2015 « par M. Nabil Assaoui et M. Marc le Hénaff », d’« anciens lieutenants » de M. Hammoumi. Or, ces deux personnes n’apparaissent pas dans les statuts de cette association. « Nous avons été perquisitionnés par rapport à un passé, regrette M. Ramdane. M. Hammoumi n’a jamais mis les pieds dans notre nouveau lieu de culte. Alors que nous écrivons une nouvelle page, on nous accuse de fondamentalisme, de terrorisme… C’est très grave et ça ne tient pas la route. »

A la mairie de Lagny-sur-Marne, on se demande si le gouvernement n’a pas tout simplement « sur-communiqué » et flairé un « coup médiatique » à quelques jours des élections régionales.