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« Prévoir possibilité de placer en rétention administrative de sûreté des personnes visées par une fiche S en période d’état d’urgence. » La phrase ne vient pas du programme d’un responsable du parti Les Républicains – Laurent Wauquiez ou Eric Ciotti défendent l’idée –, mais d’un document interne au ministère de l’intérieur, que Le Monde a pu consulter. Etabli mardi 1er décembre par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), il recense toutes les mesures de police administrative que les policiers et les gendarmes souhaiteraient voir passer dans le cadre des deux projets de loi en cours d’élaboration, l’un sur l’état d’urgence et l’autre sur la lutte antiterroriste. Les deux textes pourraient être présentés dès janvier 2016. Dans son tableau récapitulatif, la DLPAJ évoque, concernant la rétention des fichés « S », une « décision de police administrative, placée dans un délai de 48 ou 72 heures sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, qui peut libérer à tout moment », sur le modèle de la rétention des étrangers. « Cf. demande d’avis à Conseil d’Etat. Réflexion à conduire dans ce cadre de la demande d’avis », annote sobrement un haut responsable du ministère, dans la colonne « difficultés éventuelles ou points à arbitrer » du document. Les fiches « S » sont des documents de suivi des personnes soupçonnées de pouvoir porter atteinte à la sûreté de l’Etat. Elles concernent 20 000 personnes, dont 10 500 islamistes, et comportent quinze niveaux de dangerosité. Jusqu’ici, les responsables du PS répondaient « Guantanamo » ou « totalitarisme » au projet d’internement des fichés. « La fiche S est un élément de surveillance, pas un élément de culpabilisation », expliquait encore le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas (PS), sur France Inter, le 16 novembre, trois jours après les attentats de Paris et Saint-Denis. Mesures étudiées mais non arbitrées L’internement des fichés « S » n’est pas la seule idée décoiffante qui circule Place Beauvau. Le Monde a pris connaissance de deux documents résumant les suggestions des différents services. Le tableau de la DLPAJ, donc, mais aussi une large liste dressée le 27 novembre par les policiers et les gendarmes. Il s’agit de mesures étudiées, mais qui ne sont pas encore arbitrées par le ministre de l’intérieur. Un premier train de propositions concerne l’état d’urgence. Plusieurs ont déjà été décidées par Matignon, comme l’a révélé Le Monde mercredi 2 décembre : saisies administratives, délit d’obstruction à une perquisition, etc. Mais, à Beauvau, certains veulent aller plus loin, en autorisant les « fouilles des véhicules et des bagages sans le consentement des personnes », les « contrôles d’identité (…) sans nécessité pour les forces de l’ordre de justifier de circonstances particulières » et « une mesure d’obligation de signaler ses déplacements (mesure intermédiaire avant l’assignation à résidence) ». Les forces de l’ordre souhaitent également ouvrir encore un peu plus les possibilités offertes par la perquisition administrative. « Conduire [le perquisitionné] dans des locaux de police ou de gendarmerie », pour « procéder aux prélèvements ADN » et d’empreintes digitales, par exemple. Le régime de la garde à vue n’est pas très loin… Autre envie policière : « interdire les connexions Wi-Fi libres et partagées » durant l’état d’urgence et supprimer les « connexions Wi-Fi publiques », « sous peine de sanctions pénales », en raison de la difficulté d’identification des personnes connectées. Fenêtre législative Concernant le « temps normal » – hors état d’urgence –, policiers et gendarmes s’inquiètent de l’inefficacité des fichiers de police. Ils veulent « bénéficier des dernières technologies pour regrouper les données disponibles ». Le but : « permettre une fiabilisation et un partage des informations ». « Omettre une information pourtant détenue dans un fichier n’est plus politiquement ni socialement acceptable et impose d’ajouter une dimension analytique à la masse des données enregistrées », ajoute le texte, qui remet en cause, au passage, la fiabilité des fiches S – encore elles – et du fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). En clair, il est temps de privilégier la qualité à la quantité. Ce qui n’empêche pas les directions de Beauvau de rêver d’un nouveau fichier des « contrôles routiers, ferroviaires et fluviaux » ou d’un « registre informatique centralisé des hôteliers et des agences de location (logements et véhicules) ». Le reste tient de l’inventaire à la Prévert ou de la liste au Père Noël, au choix : allonger la durée de la retenue pour vérification d’identité à 8 heures, pouvoir abaisser le seuil des radars routiers « sur une zone déterminée afin de flasher (sans émission de contravention) l’ensemble du trafic routier et ainsi localiser un véhicule », « interdire et bloquer les communications des réseaux [d’anonymisation sur Internet] TOR en France » ou encore « identifier les applications de VoIP [téléphonie par Internet] et obliger les éditeurs à communiquer aux forces de sécurité les clefs de chiffrement »… Certaines de ces propositions sont techniquement impossibles, pour d’autres, la DLPAJ s’interroge : « Question de constitutionnalité ? » Jeudi 3 décembre, la Direction générale de la police nationale (DGPN) a convié des représentants de chacune de ses directions pour faire le point. Dans son courriel d’invitation, le cabinet du directeur estime, sans fausse pudeur, qu’« il convient d’utiliser cette “fenêtre” [législative] pour faire avancer certaines évolutions souhaitées par les différents services et qui n’ont pu jusqu’à présent aboutir soit par manque d’un vecteur législatif approprié, soit parce que le contexte ne s’y prêtait pas ». Le contexte s’y prête désormais, à n’en pas douter. Place Beauvau, le Père Noël a un nouveau nom : état d’urgence.