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Migrants dans les Balkans : un sommet « opérationnel » pour une situation exceptionnelle

Le Monde | 25.10.2015 à 07h14 • Mis à jour le 25.10.2015 à 07h16 | Propos recueillis par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)

 

Des officiers de police allemands, envoyés sur l'île de Lesbos par l'agence européenne de surveillance des frontières Frontex.   AFP PHOTO / DIMITAR DILKOFF

L’agence européenne de surveillance des frontières Frontex est désormais au cœur du dispositif de la politique d’asile : elle doit organiser la difficile procédure d’enregistrement des demandeurs mais aussi participer plus activement à la politique de retour. Le tout avec des moyens qui ont été promis mais se font encore attendre.

Le Français Fabrice Leggeri est le directeur exécutif de Frontex. Rencontre avant le mini-sommet européen de Bruxelles qui, dimanche 25 octobre, doit évoquer des mesures d’urgence pour aider les Etats des Balkans, confrontés à une grave crise après la fermeture des frontières de la Hongrie.

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A quoi peut vraiment servir ce sommet « opérationnel », convoqué à la hâte par la Commission ?

Nous affrontons une situation évidemment exceptionnelle : entre la mi-septembre et la mi-octobre, par exemple, 200 000 personnes sont passées par la Croatie, ce qui a, bien sûr, eu des conséquences pour les pays voisins. Ceci dit, si on entend traiter le problème à la source, c’est en Grèce qu’il faut le faire : il convient de faire fonctionner l’enregistrement dans les « hot-spots » à installer dans ce pays – comme en Italie – et permettre ainsi les relocalisations décidées par le Conseil. On ne réglera pas le problème des Balkans si l’on ne régule pas ces flux.

Les moyens promis à Frontex sont à la hausse, mais concrètement où en êtes-vous ?

J’ai lancé le plus vaste appel à contributions de notre histoire, soit 775 gardes frontières. Dont 600 pour l’enregistrement en Grèce et une centaine pour les frontières terrestres – dont la Croatie. Nous en sommes actuellement à 300 personnes environ et, même si c’est encore insuffisant, c’est déjà un record pour les mises à disposition.

Des enfants sont arrivés sur l'île de Lesbos après avoir traversé la mer Egée depuis la Turquie. AFP PHOTO / DIMITAR DILKOFF

Certains responsables évoquent un risque d’effondrement du système mis en place parce que l’enregistrement dans les hot-spots ne fonctionne pas…

La situation est différente en Italie et en Grèce : relative stabilisation des flux dans le premier cas, multiplication par 10 dans le deuxième, avec une grande majorité de réfugiés syriens et d’Irakiens. Le hot-spot, qui doit être mis en place par les autorités nationales, aidées par les agences européennes, est un lieu de débarquement et d’accueil, où différentes agences européennes traitent les flux, avec les autorités nationales. Frontex procède à un premier examen pour déterminer d’abord la nationalité, puis à une audition pour établir le profil de la personne, la route qu’elle a suivie etc. L’agence peut aussi recueillir des informations sur des groupes criminels organisés, qu’elle va transmettre à la police et à Europol. Le Bureau d’asile européen prend ensuite le relais, aide les autorités locales et met en route le processus de relocalisation.

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Mais ces hot-spots ont-ils vocation à devenir des lieux de rétention ?

Une partie des personnes auditionnées et enregistrées n’est pas éligible à l’asile. Il s’agit donc d’étrangers en situation irrégulière qui doivent être renvoyés vers un pays d’origine. La question est de savoir où les mettre alors qu’elles ont notamment droit à un appel. En clair, on a besoin de centres de rétention.

Des responsables soulignent que la très grande majorité des demandeurs d’asile refuse en fait l’enregistrement, parce que ces personnes craignent de se retrouver dans un pays où elles ne veulent pas se rendre…

Je suis chargé de faire fonctionner les hot-spots. Nous sommes mieux outillés qu’auparavant et je crois que les autorités grecques ont compris l’enjeu. Nous testons, par ailleurs, une technologie nouvelle, déployable dans toutes nos opérations. Ceci dit, j’ai effectivement constaté, à Lesbos, que 100 Syriens ont demandé l’asile depuis le 1er janvier 2015 alors que 120 000 personnes au moins sont arrivées sur cette île. Elles sont, c’est vrai, transférées ensuite sur le continent où elles peuvent accomplir les formalités mais il est clair que nous devons arriver à ce que tous les vrais demandeurs d’asile fassent les démarches nécessaires pour obtenir une protection. À défaut, on n’arrivera pas, non plus, à renvoyer les autres.

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Frontex est-elle réellement outillée, désormais, pour mener à bien cette politique de retour ?

L’agence a déjà une compétence dans ce domaine, surtout logistique : c’est le soutien à des vols conjoints quand deux Etats au moins se mettent d’accord pour lancer une opération. Nous en organiserons une soixantaine cette année. Désormais, nous allons aussi faciliter la préparation de ces vols de retour, avec les documents de voyage qui sont indispensables.

Patrouille de Frontex au large de Lesbos. (AP Photo/Santi Palacios)

Jean-Claude Juncker affirme que la crise actuelle peut durer 10 ans. C’est votre avis également ?

Je ne prévois pas de décrue avant 2020 et la fin de mon mandat en tout cas. Et j’espère qu’à la faveur de cette crise, les Européens comprendront qu’il faut aller vers une intégration plus forte pour traiter la question des flux migratoires, plus large que la gestion des frontières, même si celle-ci est également cruciale. Le défi va perdurer parce que les causes ne sont pas traitées. Elles sont géostratégiques, économiques, démographiques, liées au respect de l’état de droit etc. Pour ce qui est de ma mission spécifique, je peux dire qu’une gestion plus forte des frontières extérieures est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de l’espace Schengen. Rappelons d’ailleurs que Frontex a été créé pour être est le corrélât à la libre circulation.

Faut-il créer rapidement un corps de gardes frontières européens ?

J’insiste sur une gestion intégrée de nos frontières et j’attends impatiemment le projet de la Commission et la décision du Conseil, en décembre.