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Les incohérences de la lutte contre le djihad

Le Monde.fr | 02.06.2015 à 11h25 • Mis à jour le 02.06.2015 à 11h27

 

Ce n’est pas une coalition qui devait se réunir, mardi 2 juin à Paris, au nom de la lutte contre l’Etat islamique (EI), mais un groupe hétéroclite aux intérêts opposés et dont l’absence de stratégie commune garantit encore de beaux jours aux djihadistes d’Irak, de Libye, de Syrie et d’ailleurs. Sous l’égide des Etats-Unis, ces quelque vingt-deux pays prétendent être le fer de lance du combat en cours contre l’EI, mais ils croulent sous les contradictions, une bonne dose d’irréalisme et une grosse louche d’hypocrisie.

L’EI est né de l’effondrement de l’Etat irakien, cadeau de George W. Bush, puis de la mainmise de la majorité chiite arabe sur ce qui restait du pays. Appuyées par l’Iran, les factions chiites au pouvoir à Bagdad martyrisent aujourd’hui la minorité sunnite arabe (qui était au pouvoir hier). L’EI prospère sur ce terreau de batailles sectaires. Il se pose, avec succès, en défenseur des sunnites et bénéficie de l’appui essentiel et compétent des cadres civils et militaires de l’ancien régime. L’EI, c’est le djihad plus le Baas, le parti de Saddam Hussein. La guerre de 2003 se poursuit.

Le problème est moins militaire que politique

Depuis dix mois, les Etats-Unis ont mené plus de 4 000 raids aériens contre l’EI. Avec certains succès, mais sans affaiblir vraiment un groupe qui vient de s’emparer de la ville de Ramadi, en Irak, et de celle de Palmyre, en Syrie. Le problème est moins militaire que politique. Les villes que l’EI contrôle pourraient être rapidement reprises à coups de bombardements massifs. Mais tant que le régime de Bagdad se refuse à partager le pouvoir avec les sunnites, la marginalisation de ceux-ci entretiendra la révolte djihadiste – qui resurgira ailleurs.

D’autant que l’EI dispose d’un réservoir illimité de combattants – en partie grâce à l’Arabie saoudite, alliée de la France, et qui se veut pourtant, à Paris, à la pointe du combat contre le djihadisme. Explication : l’ONU estime que plus de la moitié de ses membres – soit 110 pays – fournissent aujourd’hui des combattants à l’EI (ils sont beaucoup moins nombreux à fournir des casques bleus). Qui sont-ils ? Des jeunes gens venus d’Afrique, d’Asie, du monde arabe et d’Europe, tous endoctrinés par le salafisme, cette version dégénérée de l’islam que l’Arabie saoudite répand depuis des années dans le monde entier.

AVANT DE LUTTER CONTRE L’EI, L’ARABIE SAOUDITE ET LES AUTRES PAYS DU GOLFE ONT POUR PRIORITÉ DE FREINER L’EXPANSIONNISME IRANIEN

Contradictions, encore : sur le terrain, en Irak, c’est l’Iran, les milices chiites irakiennes à sa solde ainsi que les Kurdes qui ont le plus contribué à enrayer la progression de l’EI. Ils ne sont pas à Paris. Pourquoi ? Parce que, avant de lutter contre l’EI, l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe ont d’abord pour priorité de freiner l’expansionnisme iranien. L’EI est secondaire, pour eux. En Syrie, ce n’est pas le régime de Damas qui est à la pointe de la lutte contre l’EI, bien au contraire, mais une coalition de groupes dominés par le Front Al-Nosra, proche d’Al-Qaida !

Une seule chose est claire : les moyens d’intervention des Occidentaux sont limités – parce qu’ils sont en général peu populaires dans la région et parce que leur seule présence militaire gonfle les rangs djihadistes.

La lutte contre l’EI se décide moins à Paris ou à Washington qu’entre les deux théocraties qui s’affrontent au Moyen-Orient : l’Iran et l’Arabie saoudite. L’essentiel de l’effort diplomatique devrait être de les amener à ouvrir un dialogue politico-stratégique. En attendant, il faut vivre au rythme d’une longue guerre d’usure contre les djihadistes.