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Le «36 Botzaris», symbole du régime Ben Ali à Paris, commence à livrer ses secrets

 

Mardi soir peu avant 19 heures, les CRS ont évacué plusieurs dizaines de Tunisiens qui occupaient depuis une semaine le 36, rue Botzaris (Paris XIXe), bâtiment de sinistre réputation dans la communauté tunisienne de France. Il a été un des points névralgiques de la surveillance des ressortissants tunisiens en France par le régime du président Zine el Abidine Ben Ali, déchu le 14 janvier dernier.

La plupart sans papiers ou bien titulaires de permis temporaires de séjour italiens, ces 74 migrants (selon la police) partis du sud de la Tunisie pour Lampedusa, en Italie, ont été brièvement arrêtés avant d'être relâchés en début de soirée. Certains ont passé la nuit en banlieue parisienne. Une poignée a réussi à investir à nouveau le bâtiment situé près du parc des Buttes-Chaumont, tandis que des militants politiques présents sur place leur ont cherché un ou plusieurs points de chute dans Paris.

Cette occupation d'une semaine du «36 Botzaris» n'est pas une réussite. L'association Ensemble contre l'oubli (ECO), qui s'est occupée des trente premiers Tunisiens arrivés sur place, et d'autres soutiens des Tunisiens (anarchistes, anti-capitalistes...) ont entretenu des relations déplorables, les uns et les autres s'accusant mutuellement d'être à l'origine de l'intervention finale de la police.

Selon les forces de l'ordre, l'ambassade de Tunisie, propriétaire des lieux, aurait en effet demandé à la préfecture de police de Paris l'évacuation du bâtiment, invoquant des «dégradations» et l'arrivée de migrants supplémentaires. Une porte blindée séparant deux ailes du bâtiment a été enfoncée, du matériel informatique abîmé, et quarante nouveaux migrants sont arrivés en début de semaine. Mais les uns et les autres s'en renvoient la responsabilité. Les dégâts semblent néanmoins mineurs.

Le plus troublant dans cette affaire est que plusieurs Tunisiens, originaires bien souvent des régions les plus reculées de Tunisie, dont les plus jeunes n'ont que 15 ans et ne parlent que quelques mots de français, se retrouvent livrés à eux-mêmes dans Paris.

 

Des listes d'adhérents du RCD en France

Cet épisode a pourtant permis de lever un peu le voile sur les activités des agents politiques ou de surveillance de Ben Ali en France. Dans les salles encore équipées d'ordinateurs, de matériel de bureau, de disques, de médailles et de photos, de nombreux documents ont été retrouvés par les quelques personnes qui ont réussi à pénétrer dans le bâtiment: à commencer par des listings détaillés d'adhérents en France du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le tout-puissant parti unique de Ben Ali.

Voir la vidéo tournée par MsTeshi, mise en ligne dans la nuit de mardi à mercredi sur YouTube :

Vidéo ©MsTeshi

Officiellement, «le 36 rue Botzaris» était un centre culturel au service de la communauté tunisienne de France, avec cours d'arabe gratuits et bureaux pour les associations. Mais pour les Tunisiens de France, ce bâtiment situé dans une rue qui longe le parc des Buttes-Chaumont était surtout un symbole du régime répressif de l'ancien président Ben Ali en France.

«C'était le siège de la police politique de Ben Ali en France; là se trouvaient ceux qui étaient payés pour venir perturber nos manifestations», raconte Mondher Sfar, opposant en exil en France depuis de longues années. Pour de nombreux Tunisiens, ce bâtiment de l'est parisien était aussi devenu le siège officieux en France du RCD. «En 1997, pour les dix ans de Ben Ali au pouvoir, on avait organisé une contre-manifestation», poursuit Sfar. Dans le bâtiment, des visiteurs ont d'ailleurs retrouvé ces derniers jours des listes détaillées, région par région, d'adhérents du RCD en France. Une information potentiellement explosive, quelques mois à peine après la révolution en Tunisie.

«Ce bâtiment, je l'ai connu les volets fermés pendant des années», dit un riverain venu soutenir les Tunisiens expulsés. Une visite des lieux ces derniers jours ne l'a guère convaincu de la destination culturelle du lieu: «Il y a une salle de réunion et tout un étage franchement glauque, ça n'est pas du tout festif.» Selon Raja Kousri, assistante dentaire et militante des droits de l'homme présente mardi soir devant le bâtiment en soutien aux Tunisiens, «Botzaris était un lieu de torture» d'opposants, où «on a même retrouvé des armes ces derniers jours».

Selon nos informations, des visiteurs ont trouvé au hasard de leurs recherches des liasses d'articles de la presse d'opposition. Ils sont également tombés sur une lettre du RCD au maire de Paris, Bertrand Delanoë, demandant la possibilité de louer le Palais Omnisport de Paris-Bercy, en 1999, pour un meeeting électoral lors de la présidentielle où Ben Ali s'est succédé à lui-même.

Enfin, ils ont déniché une carte de petit format, avec la signature (pré-imprimée) de Ben Ali. Datant de 1999, elle est adressée à Gabriel Kabla, médecin généraliste de Montreuil, un Tunisien originaire de Djerba, membre du RCD et responsable du “26-26” en France, ce compte postal censé financer des projets de développement, dont les ressources provenaient d'un racket organisé sur les salaires des fonctionnaires ou les entreprises.

La carte (qui n'a donc sans doute pas été envoyée) est destinée à le remercier de sa participation à la campagne électorale de 1999. Lors des présidentielles, cette année-là, Ben Ali avait récolté 99,4% des voix.

Ce mercredi, l'ambassade de Tunisie en France va remettre la main sur le 36, Botzaris. Pourrait-elle tenter de détruire ces documents, potentiellement très sensibles? Mardi, les soutiens des Tunisiens de Botzaris ne pouvaient pas s'empêcher de lier l'intervention de la police et la révélation de certains de ces documents, mardi dans la journée, via le réseau social Twitter notamment

 

08 juin 2011 | Par Mathieu Magnaudeix