Les mensonges de FA sur Monnet et Schuman. Les citations proviennent des pages 12, 13, 18 et 28 du dossier.
Officiellement Commissaire général au Plan, Monnet était, de notoriété publique depuis la Deuxième Guerre mondiale, un homme des Américains.
Qu'est-ce que ça veut dire être un homme des américains ? Monnet était un fédéraliste, il a œuvré pour ses idées, mais il a aussi œuvré dans l'intérêt de la France. Exemples :
Le secrétaire d'Etat americain au Tresor, John Snyder, aurait voulu que son gouvernement ne cède pas aux demandes françaises. Mais Jean Monnet avait l'oreille de quelques personnages clefs du cote américain, comme David Bruce et William Tomlinson, respectivement chef de la Mission du plan en France et représentant a Paris du Tresor americain. Grace a quoi Paris réussit donc a faire prévaloir son point de vue sur cette question cruciale.
Irwin Wall, "Jean Monnet, les États-Unis et le plan Marshall"
"En 1951, Benoit Frachon dénonçait violemment en Jean Monnet "le plus américain des Américains français". En fait, comme le PCF l'avait admis naguère, l'ambition du plan Monnet avait été au contraire d'asseoir les bases d'une France puissante et indépendante, et Monnet réussit à plier à cette fin le plan Marshall lui-même. C'est ce qu'il dit très clairement dans une lettre adressée à Bidault en avril 1948, à l'occasion de la signature de l'accord bilatéral avec les États-Unis sur le plan Marshall : "Nous allons dans une grande mesure dépendre de ce pays tant pour le maintien de notre vie économique que pour notre sécurité nationale. Cette situation ne peut pas être maintenue sans grand danger. Nous sommes aujourd'hui "l'enjeu". Il nous faut rapidement transformer cette situation en situation d'indépendance et de collaboration."
Irwin Wall, "Jean Monnet, les États-Unis et le plan Marshall"
Comme si la répartition des rôles avec Dean Acheson avait été calculée au millimètre
Quelle répartition des rôles ? Les français s'étaient déjà résigné en 1948, donc avant la fameuse réunion de 1949 entre Schuman et Acheson, à une mise en commun du charbon et de l'acier :
Long before the Ruhr Authority came into being, the French foreign ministry had initiated a thoroughreview of policy. By the end of 1948, perhaps earlier,French diplomats accepted that German energy resources could not be annexed, expropriated or even internationalized.14 France could only influence German coal and steel through a partnership. France must play a trumpcard, a European card, by offering pool its coal and steel reserves with to those of its neighbours.15 For a time such daring speculations remained confined to policy advisers within the Quai d'Orsay. Gradually the circle widened.
A. W. Lovett, "The United States and the Schuman Plan. A Study in French Diplomacy 1950-1952"
- Jean Monnet eut le bon goût de transmettre à Robert Schuman un projet de Déclaration tout ficelée et sortie de Dieu sait où.
- Mais de qui se moque-t-on ? Pour qui connaît l’administration française, il est strictement impossible - et heureusement ! - qu'une décision stratégique d’une telle ampleur ait pu être prise en quelques jours par un ministre seul, après que trois personnes l’eussent griffonnée sur un coin de table, sans que les membres de son cabinet, les différents services concernés du Quai d’Orsay, ainsi que les services des autres ministères concernés, n’aient été dûment associés, pendant de longs mois, à l’étude préalable de sa faisabilité et de ses conséquences.
Schuman s'est approprié le travail de Monnet de son équipe, mais il n'y a rien de mystérieux. Monnet était en contact avec Schuman et d'autres et surtout le projet n'est pas sorti de Dieu sait où. Il est sorti de l'équipe de Monnet et de la collaboration avec quelques ministres :
Jean Monnet travailla avec son groupe d'experts au Commissariat du Plan pour formuler un premier pas rapide vers l'intégration économique. Il obtient l'appui de René Mayer, ministre de la Justice, puis de Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères
Holter, "Politique charbonnière et guerre froide, 1945-1950"
Tels sont les éléments qui se sont peu à peu précises dans l'esprit de M. Monnet à partir du début de 1950, à l'occasion de ses conversations avec MM. Jacques Gascuel, Paul Reuter et avec ses collaborateurs du Plan, MM. Hirscli et Uri, éléments dont la synthèse s'est opérée très rapidement au courant d'avril 1950. La mise au point du projet fut alors réalisée en secret avec le concours de M. Paul Reuter, professeur à la Faculté de Droit d'Aix, qui joua un rôle important dans la rédaction de ce qui devait être la déclaration du 9 mai, en en précisant les aspects institutionnels.
Gerbet, "La genèse du plan Schuman. Des origines à la déclaration du 9 mai 1950"
La declaration Schuman a laisse neuf moutures differentes aux Archives nationales de France. Pascal Fontaine parle de vingt brouillons !
Bossuat, "Jean Monnet La mesure d'une influence"
- Adenauer « enthousiaste » aurait « répondu immédiatement qu'il approuvait de tout coeur », sans autre précision ni consultation, cette broutille consistant à mettre en commun l’acier et le charbon allemand avec celui de la France puis à bâtir une fédération européenne dans la foulée.(1) . Qui peut croire un instant à une telle fable ?
- Que cette très grande puissance avait évidemment sondé préalablement les Allemands pour obtenir l’accord du Chancelier
Y a aucune surprise. D'une c'était une proposition très solonelle, mais qui a été suivie de mois de négociations. De deux, cette idée était dans l'air du temps depuis un bon bout de temps :
The origin of the Plan will make an interesting historical study. During the last war many official and unofficial planners hit on the idea of internationalizing the heavy industry of the Ruhr-Lorraine area. As early as 1942 the possibility was discussed in the "War and piece projects studies project" of the Council on Foreign Relations as a means of controlling the Rhur."
William Diebold Jr, "Impoderables of the Schuman plan"
De trois, la faveur des allemands à un tel plan n'avait rien d'un secret de polichinelle. Adenauer avait par exemple proposé un projet d'union politique et économique en mars 1950 :
Le chancelier Adenauer allait, au début de 1950, multiplier les propositions de « fusion » franco-allemande. Ce fut d'abord la suggestion d'internationaliser la production sarroïse qu'il fit le 19 janvier 1950 à M. Mac Cîoy, haut commissaire américain à Bonn. Puis le 9 mars, il déclarait à M. Kingsbury Smith, directeur d'une agence de presse américaine, qu'il demandait l'union complète de la France et de l'Allemagne. Les deux pays uniraient leurs économies, leurs parlements et confondraient leur nationalité. Ainsi serait constitué l'embryon d'une Europe unie.
Gerbet, "La genèse du plan Schuman. Des origines à la déclaration du 9 mai 1950"
Petite devinette, qui a proposé en 1946 de mutualiser le charbon entre les nations européennes :
Placer sous autorité internationale l'immense arsenal de la Ruhr, non point pour priver les populations allemandes de ce dont elles ont besoin, mais pour répartir entre elles et entre les nations voisines le charbon nécessaire à la vie économique de tous
Les américains ? Schuman ? Monnet ? Des fédéralistes ? C'était de Gaulle ! Il n'était pas opposé à une telle mutualisation du charbon. Ce qui le préoccupait c'était l'Allemagne, il était pour une mutualisation à condition que l'État allemand ne soit pas reconstitué, c'est-à-dire en gardant de petites entités allemandes. Et il y a des tonnes d'autres exemples :
Au cours de sa première session d'août 1949, .l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe se préoccupa du problème. Plusieurs délégués intervinrent à ce sujet. M, Edouard Bonnefous, président de la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale française, déclara le 23 août devant l'Assemblée européenne : « Les différents pays devraient, malgré leur répugnance, consentir à mettre en commun leurs ressources naturelles avec une administration internationale commune... Il faut choisir une industrie fondamentale pour faire éclater sur un point capital les frontières nationales et les souverainetés étatiques. Tout conseille de choisir l'industrie du charbon ». Un autre délégué français, M. André Philip, soutint ce point de vue et affirma que cette internationalisation devrait s'appliquer non seulement au charbon, mais à l'acier. Le lendemain, M. Lee, délégué travailliste britannique, citait une brochure de son compatriote conservateur M. Boothby, dans laquelle celui-ci avait écrit : « II n'y a qu'une solution au problème des industries lourdes de l'Europe occidentale, c'est d'internationaliser l'ensemble » et avait préconisé « l'intégration des industries du char bon, du fer et de l'acier de la Ruhr, de la Grande-Bretagne, de la Belgique, du Luxembourg et de la Lorraine sous la direction suprême d'une autorité supranationale ».
Gerbet, "La genèse du plan Schuman. Des origines à la déclaration du 9 mai 1950"
Et je parle même pas des projets Fritalux et autres qui étaient des tentatives françaises.
et qu’elle avait acquis un tel poids dans l’appareil d’État français que Robert Schuman savait qu’il ne risquait pas d’être démissionné d’office après une telle incartade.
C'est le contraire, Schuman jouait plutôt son va-tout sur ce plan :
Pierre Uri stressed the crucial part played by Bernard Clappier. The latter realized that Schuman's career to date had been undistinguished, the the government was about to fall, and that Schuman might not keep his portfolio in a future cabinet. The plan would either sink or save the foreign minister
A. W. Lovett, "The United States and the Schuman Plan. A Study in French Diplomacy 1950-1952"
- C'est Jean Monnet qui a transmis à Robert Schuman, [...] le fameux projet de "Déclaration" qui avait dû être rédigé selon les instructions du Département américain"
- Elle était nécessairement le résultat d’instructions, méditées de longue date, émanant de Washington, dont Jean Monnet était l’agent traitant.
Tout ce que j'ai avancé jusqu'à maintenant est suffisant pour rejeter cette conclusion puisque les français avaient eux mêmes des raisons de faire un tel plan et puisque Jean Monnet n'a pas été à la botte des américains. Mais j'ai des preuves encore plus redoutables qui sont deux cables classés "top secret" envoyés par le secrétaire d'État Acheson :
Cable du 9 mai 1950 :
EFFORTS BY THE UNITED STATES TO ASSURE THE SUCCESSFUL NEGOTIATION OF THE SCHUMAN PLAN FOR A EUROPEAN COAL AND STEEL COMMUNITY
396.1 LO/5-950: Telegram
The Secretary of State to the Acting Secretary of State.
TOP SECRET NIACT PARIS, May 9, 1950--1 p. m.
2187. Eyes only from the Secretary for the Under Secretary.1 No distribution.
From conversation since my arrival,2 I believe.it possible that tomorrow, or soon afterward, French Government may propose important approaches toward Germany in economic field. Our information is limited. We have not been consulted or involved in the proposals, if made, in any way.: In fact the matter may be in embryonic stage in French minds. As of tonight, it is in secret stage, and you must so regard this message, prior to Cabinet consideration and it may not materialize at all.3 This wire is to alert you for these reasons: the proposal, if made, may have very considerable possibilities. It may -be very controversial. At this stage the United States would express great interest that judgment. I would not bother President until the news breaks or we advise you that it will., Then President should be warned to await further information before comment.
Executive Branch should be advised to withhold comment. Chairmen of Foreign Committees should be similarly advised.
ACHESON
Later the same day, Acheson informed Webb in telegram Actel 1, 4 p. m., not printed, that he had just learned that the French Cabinet had approved the proposal that morning and that Robert Schuman, French Minister of Foreign Affairs, was planning to make an announcemint during the afternoon. Acheson suggested that Webb follow the course outlined in his telegram 2187 as soon as possible"
Cable du 10 mai :
396.1 LO/5-1050: Telegram
The Secretary of State to the Acting Secretary of State.
TOP SECRET NIACT PARIS, May 10, 1950--11 a. m.
Secto 211. For President and Webb from Acheson. French proposal for closer association of French and German coal and steel industries has created deep impression and wide speculation. Important that all should realize that this was put forward entirely on French initiative and that Schuman did no more than to mention it to quite casually and in such general terms prior to the announcement that I was unable by his reference to gauge the full significance of the proposal. McCloy who has close relations with Monnet was invited to talk with Monnet in greater detail about the proposal which he did on the night before the announcement and his talks with Monnet prompted my warning cable to you.3 It is evident that Monnet has been the mainspring of this proposal but he has acted in close co-operation with Schuman, Pleven and Mayer.4 Monnet most anxious that this proposal be accepted as a significant far-reaching effort not only toward Franco-German understanding but European federation and not viewed as an expedient or trick by which France could gain any particular advantage on the continent. French Government also at pains to emphasize that this does not take on the aspects of a grand cartel. There is a real transfer of sovereignty involved, and full publicity of all operations of the high authority contemplated. Just how allocations and pricing are to be handled in such a way as to avoid the vices of monopoly control not clear but French emphasize that their intentions are honorable and these elements must depend on course of negotiations.
In commenting on proposal believe it is important that French be given credit for making a conscious and far reaching effort to advance Franco-German rapprochement and European integration generally. On the other hand, it is too early for us to give proposal our approval because of the possible cartel aspect and known previous French efforts to secure detailed control over investment policies and manage- ment of Ruhr coal and steel industry, and certainly until we know about the character and the details of the scheme. British reaction has not yet developed but believe it is apt to be somewhat cautious."
Foreign relations of the United States, 1950. Western Europe Volume III
FA peut jeter sa copie à la poubelle. Et pour le fun une dernière citation à propos du lobby pro-européen qui n'a pas réussi à faire changer de position des personalités françaises :
Between the initial, narrow ECSC deal and the much more extensive EEC, literally no major French actors shifted their policy preferences in response to supranationalobbying
Craig Parsons, Showing Ideas as Causes: The Origins of the European Union